Un titre très long pour une alliance qui devrait faire beaucoup de bruit et de ravages parmi les « Big Three » : un électronicien expert de l’hybride, une légende centenaire et un maître de l’optique à chaque fois meilleur ? Chaud devant !
C’était un secret de Polichinelle depuis une semaine (ce qui demeure, du point de vue des rumeurs, très court), mais l’information est désormais confirmée (enfin, le communiqué conjoint a déjà fuité, et comme il ne raconte rien et que je n’ai rien signé, je m’autorise à en parler) : aussi vrai que l’union fait la Force, et que la Force est puissante dans la famille, Panasonic, Leica et Sigma s’associent donc pour créer la « L-Mount Alliance » articulée autour de la monture L qui équipe déjà les hybrides T, TL et SL du constructeur allemand. Que vous décidiez de les comparer aux Trois Mousquetaires, au Rois Mages ou à la Sainte Trinité, il ne fait aucun doute que cette alliance vise à créer un système complet et intercompatible d’hybrides et d’optiques 24 x 36 mm. Tiens, ça rappellerait pas un peu le système Micro 4/3, dont ces trois là font déjà partie ? Si pour le moment nous n’en sommes qu’aux déclarations d’intention, il est intéressant de se demander ce que chacun des trois peut apporter au Schmilblick (ça se prononce « schmilblick« ).
Panasonic, le petit prince des hybrides : électronique et vidéo de pointe
L’adoption de la monture L par Panasonic est frappé du sceau de l’évidence. Quitte à se lancer dans de l’hybride 24 x 36 mm, plutôt que de faire cavalier seul, autant s’appuyer sur son partenaire de toujours : Leica. Après tout, pourquoi réinventer la roue, surtout quand on a déjà participé au développement du premier hybride 24 x 36 mm utilisant cette monture (le Leica SL Typ 601) ? Il n’y a qu’un seul point qui, potentiellement, pourra rendre chagrin ceux équipés en Micro 4/3 (Panasonic, Olympus ou autre) : il sera impossible de monter ces optiques sur les boîtier 24 x 36 mm en monture L, car le tirage optique en est plus long (19,5 mm contre 20 mm, ça se joue à peu)… à moins de créer une sorte de bague rentrant à l’intérieur de la monture de 0,5 mm, mais ce serait chelou. D’un autre côté, pour n’exploiter qu’un quart de la surface du capteur 24 x 36 mm, cela aurait-il eu un intérêt ? (C’est une question ouverte, je veux bien votre avis.)
Avec déjà 31 boîtier hybrides à son actif sortis depuis dix ans, Panasonic est, de loin, celui qui a le plus d’expérience en la matière. Que ce soit l’autofocus (avec des ratés, certes), la stabilisation optique, la stabilisation capteur, les écrans orientables et tactiles, l’électronique, la conception et la fabrication de capteurs, la conception et la fabrication de batteries, Panasonic maîtrise tout du hardware. Et si le logiciel est encore perfectible en photo (mais il est probable que la collaboration entre Panasonic et Leica sur les profils colorimétriques soit renforcé, à l’image du profil « L.Monochrom », ce qui ne peut pas faire de mal), leur savoir-faire en termes de vidéo est indéniable et ne connaît, pour l’heure, que Sony (et bientôt Fujifilm ?) en concurrents. Et en plus ils sont sympas et à l’écoute. (Tant de prosélytisme, ça mérite au moins 42 chocolatines.)
Nonobstant, et je tiens encore une fois à le souligner, la création d’un nouveau système 24 x 36 mm de la part de Panasonic n’implique d’aucune manière l’arrêt du développement du Micro 4/3 ! Ce seront deux systèmes complémentaires, prévus pour des pratiques légèrement différentes, pour des budgets nettement différents, et les avantages de l’un seront les inconvénients de l’autre (et vice versa). Donc, il n’y a pour l’heure aucune raison de venir chouiner et crier à la trahison : il n’y en a pas. Et s’il y a incompatibilité au niveau des optiques (incompatibilité ascendante et descendante), il faut quand-même noter que, si vous êtes déjà équipés d’enregistreurs externes, de gimbals, de follow focus, et de plein d’autres accessoires vidéo, ceux-ci fonctionneront aussi bien sur un Lumix Micro 4/3 que sur un Lumix 24 x 36 mm. (Après, je peux monumentalement me planter, mais il y a peu de chances que la conférence Panasonic, qui aura lieu aujourd’hui à midi 30, me donne tort.)
Leica, légende vivante : le poids du nom, le choc des objos
Bon, c’était juste une manière de faire un clin d’œil au Paris Match des grandes heures. Nonobstant, il faut se rappeler que, d’un point de vue technique, Leica a été le tout premier à proposer un hybride à 24 x 36 mm : c’était le Leica M9, annoncé le 9/09/09. Il était alors doté d’un capteur CCD Kodak de 18 Mpx. Et lorsque Leica présentera son deuxième hybride 24 x 36 mm, le M (Typ 240) (capteur Leica/CMOSIS/STMicroelectronics), ce sera un an avant que les Sony Alpha 7 n’arrivent sur le marché. Surtout, en ce qui concerne la L-mount Alliance, c’est donc Leica qui a inventé la monture L , laquelle a fait ses premiers pas un jeudi, le 24 avril 2014… dans un hybride APS-C, le Leica T (Typ 701). Elle est depuis utilisée sur le Leica TL2, le Leica SL (à capteur 24 x 36 mm, donc) et le Leica CL annoncé au début de l’année. Ce qui implique deux choses.
La première est que, avant même que les premiers boîtiers en monture L de Panasonic (et Sigma ?) ne pointent le bout de leurs capteurs, ils s’intègreront dans un système qui n’est pas dépourvu d’objectifs. C’est suffisamment rare pour être souligné. En monture L native, le catalogue Leica comporte déjà quatre focales fixes APS-C (Elmarit-TL 18 mm f/2,8 ASPH., Summicron-TL 23 mm f/2 ASPH., Summilux-TL 35 mm f/1,4 ASPH. et APO-Macro-Elmarit-TL 60 mm f / 2.8 ASPH.), trois zooms APS-C (Super-Vario-Elmar-TL 11-23 mm f/3,5-4,5 ASPH., Vario-Elmar-TL 18-56 mm f/3,5-5,6 ASPH. et APO-Vario-Elmar-TL 55-135 mm f/3,5-4,5 ASPH.), deux focales fixes 24 x 36 mm déjà disponibles (Summilux-SL 50 mm f / 1.4 ASPH. et APO-Summicron-SL 75 mm f /2 ASPH. ), deux focales fixes 24 x 36 mm prévues pour mi-2019 (APO-Summicron-SL 35 mm f/2 ASPH. et APO-Summicron-SL 50 mm f/2 ASPH.) et, enfin, trois zooms 24 x 36 mm d’ores déjà disponibles (Super-Vario-Elmar-SL 16-35 mm f/3,5-4,5 ASPH., Vario-Elmarit-SL 24-90 mm f/2,8-4 ASPH et APO-Vario-Elmarit-SL 90-280 mm f/2,8-4). Soit un total de quatorze optiques. Pas mal pour un « nouveau » système ! Alors, oui, c’est le moment d’être un peu chagrin que l’optique APS-C la moins chère coûte déjà 1190 € (l’Elmarit-TL 18 mm f/2,8 ASPH.) et que vous n’avez pas d’optique 24 x 36 mm en-dessous de 4400 € (l’APO-Summicron-SL 75 mm f/2 ASPH.), mais j’y reviendrai.
La deuxième bonne nouvelle est que, puisque la monture a déjà quatre ans, les accessoiristes ont déjà eu le temps de se pencher sur la question des bagues d’adaptation. Si Leica propose déjà ses propres bagues pour monter des objectifs M, R, S et Cinema sur un boîtier en monture L, Fotodiox propose, de son côté, une bague Leica M vers Leica L à 60 US$ ainsi qu’une bague Nikon F/G vers Leica L à 130 US $. C’est Novoflex qui a le catalogue le plus fourni, puisqu’il est d’ores et déjà possible de monter les optiques en montures suivante sur les Leical SL/TL/CL : Nikon F, Canon EF, Canon FD, Arri PL, Pentax K, Sony/Minolta A, Leica M, Leica R, Minolta MD/MC, Olympus OM, Yashica/Contax, M39 et M42. Avec cela, il y a de quoi faire ! Et ceux déjà équipés de telles optiques qui seraient intéressés par un Panasonic Lumix en monture L n’auront pas besoin de s’angoisser à se demander si des adaptateurs vont ou non sortir.
La troisième bonne nouvelle, que je souhaite très fort, est que, puisque ce coup-ci Leica et Panasonic vont travailler main dans la main à un système commun, les Japonais vont enfin vraiment s’inspirer de l’ergonomie des Allemands, autrement plus fluide, simple et moins alambiquée. Mais bon, malgré toute sa bonne volonté, Panasonic étant ce qu’il est, je n’en mettrais pas ma main à couper. Par contre, cela signifie aussi que, dans l’autre sens, Leica va pouvoir récupérer le savoir-faire vidéo de Panasonic et proposer, pour le successeur du SL, de la vidéo en 4K 60p. Et ça, c’est putain de cool.
Sigma l’outsider qui n’en est pas un : des optiques, plein d’optiques… et du Foveon 24 x 36 mm ?
Si la collaboration Panasonic-Leica tombait sous le sens, j’aurais dû être capable de pronostiquer la présence de Sigma dans l’aventure. Lorsque j’avais rencontré Kazuto Yamaki, PDG de Sigma, au début de l’année, il m’avait confié venir directement de Francfort, où il avait un meeting avec Stefan Daniel. Or, Stefan Daniel est directeur du développement des produits photographiques de Leica. Ces deux personnes ont beau m’être hautement sympathique, j’aurais dû me douter que Yamaki San n’avait pas traversé la moitié de la planète juste pour discuter macramé.
Si vous voulez mon avis (mais a priori, vous êtes là pour cela), c’est bien la présence de Sigma qui rend cette alliance si intéressante. Je ne vous ferai pas l’offense de récapituler l’historique récent des optiques Art/Sport/Contemporary qui déchirent/déboîtent/font un carton/tabac/les mots me manquent : Sigma n’a plus besoin de prouver à personne que leur came, c’est de la bonne, au moins du niveau de Leica et Carl Zeiss. Et, la bonne nouvelle, c’est que pour la monture L, Sigma peut se « contenter » d’appliquer la même recette que pour les optiques FE qu’il est en train de déployer : adapter des formules optiques déjà existantes en monture L native. Premier point. Deuxième point : puisque je vous parle beaucoup de vidéo (et je ne serai pas le seul), les utilisateurs du système L vont également disposer des optiques cinéma de Sigma, nettement moins onéreuses que celles de Leica. D’où le troisième point, et non des moindres : les utilisateurs de Leica SL vont pouvoir goûter aux joies des optiques Sigma Art/Sport/Contemporary pour une fraction des optiques Leica. Et ça, c’est pas rien (puis, ça nous change du discours des « ouais mais si Pana utilise la monture L, va falloir acheter des optiques Leica qui coûtent une blinde ! » que j’entends et lis depuis une semaine). Quatrième point optique : chaque opticien ayant ses lubies sa philosophie, cela signifie également qu’il sera possible de piocher entre le « rendu Leica », le « rendu Pana » et le « rendu Sigma » (que de a, que de a)… moyennant compatibilité financière, bien sûr.
Pour Sigma, ce coup-ci côté boîtier, l’adoption de la monture L est une excellente opportunité pour sortir de nouveaux hybrides, cette fois-ci dans une monture un peu moins confidentielle que la monture Sigma SA, en gardant à l’esprit que cette dernière, avec son tirage de 44 mm, permet la création d’un adapteur SA vers L (entre autres adaptateurs). Ce qui veut dire que ceux ayant investi dans des boîtier Sigma pourront continuer à utiliser les optiques correspondantes. Ce qui veut aussi dire qu’il est tout à fait probable qu’un boîtier Foveon Quattro à capteur 24 x 36 mm voit le jour. Quand on veut ce qu’il est déjà possible de sortir avec des capteurs Foveon Quattro APS-C et APS-H, je m’en lèche les babines et la rétine d’avance ! Et à nous le monde merveilleux des photos de 120 Mpx et des fichiers de 200 Mo…
À trois, c’est bien, à plus, c’est mieux : qui d’autre pour se joindre à la « L-Mount Alliance » ?
Olympus, bien sûr, est le premier nom qui vient à l’esprit. D’abord parce qu’il est le co-inventeur du système Micro 4/3, ensuite parce que si Olympus se lançait dans le 24 x 36 mm ils n’auraient aucun intérêt à se la jouer solo, mais surtout parce que nous avons pu voir fleurir, ces dernières années, plusieurs brevets Olympus pour des optiques (Zuiko ?) couvrant le 24 x 36 mm : un 17 mm f/1,4, un 20 mm f/1,4, un 24 mm f/1,4, un 28 mm f/1,4, un 28 mm f/2, un 35 mm f/1,4 et enfin un 50 mm f/1,4. Ce qui fait du joli monde ! Bien sûr, entre les brevets et la concrétisation industrielle, il y a toujours un pas pas (pingouin) toujours franchi. Mais si Olympus ne les sort pas en nom propre, pourquoi ne les signeraient-ils par pour Panasonic ?
Parmi les autres membres du système Micro 4/3, nous trouvons également Fujifilm (que je vois moins venir, ou, en sous-marin, via ses capteurs organiques développés avec Panasonic), Tamron, Cosina et Carl Zeiss (qui y viendront plus que probablement si le L prend son envol), Yi Technology (pour le coup, j’y crois pas du tout). Par contre, en constructeur chinois, DJI me semble un excellent candidat. Oui, tout à fait, DJI. Et plus précisément, la marque photographique qu’il possède : Hasselblad. Vu comme le nom d’Hasselblad a été mis en avant lors du lancement du drone Mavic Pro2, il ne me paraît pas si saugrenu que DJI, via sa filiale suédoise, se joigne à la fête. En plus, DJI sait déjà faire des drones à objectif interchangeable : le Zenmuse X7 dispose de ses propres optiques en monture DL et les rumeurs parlent d’un Phantom 5 qui aurait droit au même traitement. Franchement, ça aurait de la gueule un Hasselblad hybride 24 x 36 mm, avec stabilisation DJI, capteur Sigma Foveon et optique Leica ! Et ce serait Kazuto Yamaki qui serait content, lui qui déclarait que « si [Sigma] faisait des capteurs plus grands, [il] adorerai[t] voir des Hasselblad à capteur Foveon. »
Et puis, moi, de mon côté, si Olympus et DJI/Hasselblad se joignaient à la fête, je pourrais rebaptiser la « L-Mount Alliance » en L5. Ce qui me donnerait un bon prétexte pour chanter que « si on reconsidère les choses […] écoute ce que je te propose […] l’amour a tellement de visages, à toi d’ouvrir les yeux, est-ce que tu envisages […] » toutes les marques photo de ma vie, en L réunies… (Ou pas, hein.)
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