Cyril Thomas

[Salon de la photo 2018] En tête-à-tête avec Cyril Thomas, le nouveau capitaine à la barre de Leica France

Après trois ans d’absence du Salon de la Photo, Leica fait son grand retour avec, dans son escarcelle, un M10-D, une L-Mount alliance en collaboration avec Panasonic et Sigma, ainsi qu’un nouveau directeur général France, Cyril Thomas.

 

S’il y a bien un constructeur qui ne donne des papillons dans le ventre, c’est Leica. Marque passionnelle par excellence, tous ceux qui s’intéressent ou se sont intéressés à la photographie de près ou de loin croiseront forcément un jour le chemin de la vénérable maison allemande et s’en feront un avis, positif ou négatif. Dans mon cas particulier, c’est parce que mon tout premier appareil photo était un Panasonic Lumix FZ18 dont l’objectif était estampillé Leica que je me suis intéressé au constructeur et que, chemin faisant, mes deuxième, troisième, quatrième, et cinquième appareils photo ont été des Leica, argentiques et numériques. Surtout, avant de devenir journaliste grâce aux Numériques, j’ai travaillé deux ans et demi au Leica Store Paris de la rue de la Pompe (qui aujourd’hui n’existe plus), et ai donc vécu la marque, ses joies, ses mélodrames, son évolution, ses clients, de l’intérieur.

Justement, c’est à cette occasion là que j’ai rencontré pour la première fois en 2010 Cyril Thomas, l’un des rares Français occupant un poste à la direction de Leica en Allemagne, à l’époque à Solms, depuis relocalisé à Wetzlar, ses terres historiques.  Au gré des divers évènements du constructeur, que ce soit sous ma casquette d’employé de Leica France ou celle de journaliste pour Les Numériques, ma route a à de multiples reprises croisé celle de Cyril. Parce que c’est plus facile de parler avec un Français quand on a un coup de schnaps dans le nez (des fois, il faut savoir être pragmatique), mais surtout parce que je me suis rapidement rendu compte que le garçon était fort sympathique, totalement passionné et, comme le dirait l’une de mes anciennes collègues de Leica, Cyril et moi sommes »complètement picousés Leica, nous avons ça dans le sang !« . (Ce qui ne m’empêche pas de rester professionnel et objectif quand il le faut, entendons-nous bien.)

Bref, quelle surprise et quel plaisir cela a été de découvrir, sur le stand Leica du Salon de la Photo, que Cyril était revenu en France, non pas en simple visite de courtoisie, mais pour reprendre la direction de la filiale ! Parce qu’après deux directeurs généraux issus du monde l’automobile de luxe, cela fait du bien de voir un homme du sérail reprendre la barre du navire Leica France. Pour résumer, et avant d’entrer dans le vif du sujet, Cyril Thomas maîtrise la philosophie de la maison sur le bout des doigts et apportera j’en suis certain sa vision très ouverte et humaine sur ce que deviendra la L-Mount Alliance. Mais ça, je vous laisse en juger par vous-même.

 

 

Cyril Thomas, welcome back ! Pour toutes celles et ceux qui ne te connaissent pas, qui es-tu, que fais-tu, pourquoi es-tu là ? Parce que cela fait un moment que tu rodes dans les parages, car si mes souvenirs sont bons, tu travailles chez Leica depuis 14 ans.

14 années chez Leica, en effet. J’ai été embauché par Michel Ellert en France, lorsqu’il était directeur général de la filiale. J’avais commencé par quelques achats mystères, en tant que client mystère, pour découvrir l’environnement de distribution de Leica en France, mais j’avais déjà une bonne connaissance de la marque et des produits, que ce soit en photo ou en Sport Optics. Suite à ça, je suis parti en Allemagne, où j’ai d’abord été chef de produit. Après, je me suis occupé de business development, mais comme c’est un terme assez large, je vais plutôt dire que j’étais spécialisé dans l’implantation et le développement de la distribution sélective ainsi que le développement du concept des Leica Stores. J’ai pas mal travaillé là-dessus. Suite à ça, j’ai été directeur marketing du Sport Optics de Leica, puis directeur marketing et communication du groupe, et après j’ai eu la direction générale de la business unit Sport Optics au niveau mondial. Et depuis juin dernier je suis rentré en France et repris la direction générale de la France et de la Belgique. Voilà où on en est, et je suis très heureux d’être retourné en France.

 

 

Et qu’est-ce qui t’a motivé à revenir en France, toi qui avais une position mondiale et a navigué dans les hautes sphères de Leica ?

Disons que j’avais une vie privée un petit peu compliquée d’une certaine manière, puisque mes deux enfants sont nés en Allemagne, en 2004 et 2006. Toute ma famille était restée en Allemagne jusqu’en 2009 et ma femme, cette année là, a été promue en France. À cette époque elle m’avait dit « discute avec Leica, regarde, il serait peut-être intéressant que tu reviennes en France »… Et de 2009 à 2018, neuf ans se sont écoulés. Neuf années où je n’ai pas arrêté de voyager tous les week-ends. Donc, de pouvoir rentrer en France, ça m’arrange. C’est un autre cadre de vie, tout en étant très heureux de rester chez Leica. Ça me permet de combiner cet amour pour la marque et le fait d’être de nouveau avec ma famille.

 

La moyenne d’âge des visiteurs du stand Leica n’est pas de 20 ans. Mais pour le coup, quand j’ai pris la photo, j’vous jure que c’était un hasard !

 

 

Puisque tu parles de ton amour pour Leica, je vais donc faire deux questions en une. Pourquoi aimes-tu Leica, tout simplement, et quels sont tes projets pour Leica France maintenant que c’est toi le patron ?

En quoi est-ce que j’aime Leica ? Je crois que la question est simple et compliquée à la fois, parce qu’il y a beaucoup de choses à dire sur Leica. Leica, c’est 170 ans d’histoire dans l’optique, et j’aime énormément cette marque parce que nous poussons les produits à un niveau de qualité optique, à un niveau mécanique et à un niveau électronique très élevés. Nous nous positionnons clairement dans les produits d’exception. Il y a beaucoup de marques qui font de très beaux appareils photo, qui font du très bon matériel, mais je dirais que le positionnement de Leica c’est d’aller chercher toujours un petit peu plus loin et de n’avoir pas de compromis sur le type de produit que nous proposons.

Qu’est-ce que j’aime dans Leica ? C’est une optomécanique qui est magnifique. C’est à dire que j’aime le résultat en photographiant avec un Leica, mais j’aime aussi l’objet. L’objet est incroyablement beau et le résultat photographique est marqué par une empreinte, par l’ADN de l’optique Leica, qui est très intéressante. Quand on a l’habitude de ces optiques, quand on shoote beaucoup avec, il se passe quelque chose dans l’image, on a tendance à être de plus en plus mordu.

 

Je pense aussi que nous pouvons développer la marque en la rendant plus accessible. Je crois que l’avenir c’est de développer l’affinité avec la marque Leica. J’entends par là, rentrer en contact avec nos clients, leur faire vivre des expériences avec la marque, leur proposer des ateliers, des workshops à thèmes.

 

En ce qui concerne mes projets pour Leica France, c’est clairement de développer la marque. Je pense que nous avons énormément de potentiel, tout simplement parce que les gens qui sont dans l’univers photographique connaissent plus ou moins bien le nom Leica. Certains le connaissent très très bien, d’autres en ont entendu parler, savent qu’il y a un côté culte mais ne connaissent pas bien les produits Leica. Par ailleurs, je pense que nous avons énormément de potentiel de croissance à faire connaître la marque à un plus grand nombre.

Je pense aussi que nous pouvons développer la marque en la rendant plus accessible. C’est à dire que nous avons développé énormément d’admiration autour de la marque Leica, de la légende Leica, des produits Leica, mais je crois que l’avenir c’est de développer l’affinité avec la marque Leica. J’entends par là, rentrer en contact avec nos clients, leur faire vivre des expériences avec la marque, leur proposer des ateliers, des workshops à thèmes et, fondamentalement, de faire en sorte de rapprocher tous ces clients potentiels et ces clients existants. J’ai envie de développer la marque sans aucune arrogance, avec un maximum d’ouverture sur nos clients, en les invitant à tester nos produits. Parce que, je crois que nous avons des produits qui font la différence, et c’est sans aucun dénigrement d’autres très belles marques qui font aussi d’excellents produits.

 

Ce sont les produits, les êtres humains qui la constituent et l’histoire qui font la marque. Voilà pourquoi je ne suis pas pour positionner Leica dans l’univers du luxe et je préfère de loin le mot « culte ».

 

Quelque part, tu te mettrais donc un peu en rupture avec tes deux prédécesseurs qui, eux, ont plutôt mis l’accent sur le côté luxe de Leica, très exclusif, très premium, avec cette tendance à oublier que c’est avant tout une marque photo ?

Personnellement, je ne suis pas pour positionner Leica dans l’univers du luxe. C’est quelque qui ne peut pas me parler parce que, étant donné que la marque est culte, pour moi elle est au-dessus de ça. Je préfère de loin le mot « culte » au mot « luxe ». La marque Leica, ce n’est pas à nous de la positionner dans le luxe. Elle est culte ne serait-ce que parce qu’elle a 170 ans d’histoire. Si tu me demandais de benchmarker Leica par rapport à une autre marque de l’univers des marques dans lequel nous évoluons, je pense qu’une bonne comparaison serait Harley Davidson. Parce qu’il y a ce côté culte. Il y a quelque chose d’extraordinaire. Il y a toute une histoire derrière, à raconter et sur laquelle s’appuyer. Il y a des objets d’exception.

Je crois que la thématique d’un positionnement luxe n’est pas le bon sujet de réflexion, ou en toi cas, moi, ne m’intéresse pas plus que ça. Je pense que la marque est extraordinaire, et je préfère utiliser ce mot. Ce sont les produits, les êtres humains qui la constituent et l’histoire qui font la marque. Voilà. Mais, pour mieux répondre à ta question, ce sont surtout les meilleurs outils photographiques que l’on puisse trouver, ce sont des outils d’exception, et ce sont, en plus de cela, de très beaux objets.

 

Un levier d’armement qui n’en est pas un ? Un dos sans écran ? Voici le Leica M10-D, qui est bel et bien un boîtier numérique et pas argentique. (Très pratique en manifestation quand un policier vous demande d’effacer vos photos, puisque vous pourrez prétendre « j’peux pas, c’est une pellicule ! »)

 

 

Tu parles de culture, d’exception, de produits… Cela fait quelques années que Leica en joue, de ce vocabulaire. Surtout depuis que l’entreprise a sorti la tête de l’eau et se permet ce que l’on pourrait qualifier de « fantaisies » en termes de produits. Que ce soit le tout récent M10-D sans écran, les divers M Monochromes, les éditions limitées en veux-tu en voilà… Ce sont des produits qui vont complètement à rebours de tout ce qui existe sur le marché, d’autant plus dans un contexte temporel où Nikon et Canon arrivent enfin sur les hybrides 24 x 36 mm plus ou moins ultra-high-tech. Leica s’amuse donc à faire des produits qui sont dépouillés de tout « confort moderne ». Pourquoi ?

Là aussi la question est très large et il y a beaucoup de réponses. Quand on regarde les nouveaux hybrides de Canon et Nikon, qui ont l’air d’être de beaux produits, il ne faut pas oublier que nous, nous avons lancé un SL, il y a trois ans, qui est une véritable Ferrari comme boîtier. C’est un appareil photo qui est ultra-moderne, qui permet d’utiliser tout un tas d’optiques de différents systèmes chez Leica (M, SL, R, S, Cinéma) et qui est très intéressant à utiliser. Il a un viseur avec une définition supérieure à quatre millions de pixels, qui n’a pas encore d’égal sur le marché bien qu’il ait trois ans. Le SL est encore tout à fait moderne, peut faire 10 images par seconde, a un autofocus d’une rapidité extraordinaire… Je ne vais pas partir dans le détail technique du SL, surtout que je ne suis pas le plus pointu en la matière. Voilà. Ça, c’était pour rappeler que nous savions aussi faire des choses high-tech.

 

De nos jours,  même sur un événement où il faut être curieux, réactif, regarder ce qu’il se passe autour de soi pour, justement, prendre le moment décisif, on est très souvent là à regarder les images qu’on a prises, vérifier si elles sont bonnes, les trier, plutôt que se concentrer sur l’instant.

 

Après, en ce qui concerne les appareils hors du temps… Tu me parles du M10-D. Le M10-D, c’est un peu une suite de ce que nous avons fait avec le M Monochrom, qui ne sait faire que du noir et blanc. Je dirais que ça rentre dans ce que Leica sait faire. Il y a une vraie philosophie avec le M10-D. Si tu regardes le M10-D, d’abord, c’est un monstre de modernité dans un habillage traditionnel. Pourquoi ? Parce que, comme tous nos M, et comme la majeure partie de nos boîtiers, c’est un objet connecté, c’est à dire avec un module WiFi intégré. Nous avons emmené en même temps que le M10-D cette possibilité d’utiliser Leica FOTOS, qui remplace toutes les autres applications que nous avions auparavant, et qui te permet de vérifier sur ton smartphone si la mise au point est bien réalisée, etc. Mais je dirais que ce n’est pas le plus important.

Le M10-D, c’est une troisième évolution du M10, qui te permet de te concentrer sur la prise de vue. Si tu regardes, de nos jours, nous avons de plus en plus tendance à prendre trop d’images et, même sur un événement où il faut être curieux, réactif, regarder ce qu’il se passe autour de soi pour, justement, prendre le moment décisif, on est très souvent là à regarder les images qu’on a prises, vérifier si elles sont bonnes, les trier, tout ça, plutôt que se concentrer sur l’instant. Le M10-D, c’est un retour aux sources. C’est un appareil numérique, mais avec la philosophie de l’argentique : tu es là sur un événement, pour shooter l’évènement, et tu regarderas plus tard le résultat de ce que tu as shooté. Voilà. Donc, nous l’avons emmené dans cet esprit et je suis incroyablement surpris car, notamment les premiers jours du Salon de la photo, on rencontre des gens à qui cette approche parle. L’autre jour, il y a trois visiteurs qui sont venus me voir pour me dire « Leica, vous nous aviez un petit peu perdus, mais alors là, avec le M10-D, nous revenons chez vous !» Et j’ai trouvé ça assez agréable et assez surprenant à entendre.

 

 

Ah bon ? Je ne vois pas trop comment on peut perdre un leicaïste, parce que, franchement, rien ne ressemble plus à un M que le M qui le remplace…

Et bien moi non plus, figure-toi. C’est pour ça que j’ai été surpris. Que tu prennes un M (Typ 240), un M10 ou un M10-P, je ne pense pas que nous ayons perdu nos clients. J’ignore si c’est une histoire de détails, parce que souvent chez Leica ça peut jouer sur des détails. Est-ce que, sur le M10-D, c’est ce levier d’armement fictif ? Est-ce que c’est le fait de n’avoir absolument plus d’écran ? Parce que c’est un vrai choix, de ne pas avoir d’écran, d’accepter que tu vas plus t’ouvrir sur les scènes que tu photographies, et les vivre, sans pouvoir regarder tes photos pendant ce temps là. C’est un choix qui ne correspond pas à tout le monde, je m’en doute bien.

 

Avec tout le battage médiatique autour des hybrides 24 x 36 mm, surtout ceux en monture L, de Panasonic ou non, il ne faudrait pas oublier que cette monture est aussi utilisée pour des hybrides APS-C, ici le Leica CL. Du coup, lorsque les rumeurs parlent d’optiques APS-C en monture L chez Sigma, cela n’a rien de farfelu.

 

 

Ah si, peut-être une chose qui a perdu le client Leica traditionnel : le partenariat avec Panasonic et le fait de faire des compacts Lumix rebadgés Leica… Mais bon, du coup, c’est un partenariat qui a fait ses preuves, qui se maintient, et a donc donné très récemment naissance à la L-Mount Alliance. T’as vu la transition capillotractée… Bref, plus sérieusement. Tu parlais précédemment du SL, sorti en 2015, qui a été le premier à exploiter la monture L sur un boîtier 24 x 36 mm. Cette monture, donc, qui va être reprise par Panasonic, ce qui était plus ou moins prévisible, et par Sigma, ce qui est plus surprenant. Toi qui étais au siège à Wetzlar lorsque cet accord a été signé, et as probablement entendu des bruits de couloir, sais-tu comment cette alliance a été mise en place ? Qu’est-ce que chaque constructeur va pouvoir tirer de bénéfique de cette association ? Est-ce qu’une communication conjointe Leica-Panasonic-Sigma est envisageable, à l’échelle mondiale et/ou régionale ?

Comment cela s’est fait ? Je n’ai pas beaucoup d’informations sur la manière. Du côté de Leica, nous avons deux montures L parmi les systèmes que nous proposons : une en 24 x 36 mm, avec le système SL, l’autre en APS-C, avec les systèmes CL et TL. Il est clair qu’il va y avoir d’énormes synergies à l’avenir mais, te dire aujourd’hui comment elles vont se réaliser, je ne sais pas exactement. Nous voyons que Leica a apporté cette monture L, que Panasonic rentre dedans avec des hybrides qui paraissent très intéressants et qui arriveront au printemps 2019, et que Sigma est aussi rentré dans cette monture. Il y aura peut-être d’autres marques qui nous rejoindrons, je l’ignore. Mais pour le présent, nous sommes en train de générer une nouvelle monture où les gens vont pouvoir passer d’une marque à l’autre, monter des optiques d’une marque sur un boîtier d’une autre marque, et vice versa, et ça ne peut qu’être positif pour les constructeurs de l’alliance.

 

Pour la L-Mount alliance, je trouverais cela plus pertinent, au début, de mettre en place des évènements communs, des prises en main, des ateliers, des workshops à thème, durant lesquels les photographes intéressés par le système L élargi

 

 

Parmi les trois membres de l’alliance, Leica est le seul à faire du retail, aves ses boutiques en nom propre, sujet que, du coup, tu connais bien. Sais-tu si, dans le cadre de cette alliance, tu serais prêt à vendre dans les Leica Stores des objectifs et boîtiers Sigma et Panasonic ? Est-ce que pour toi cela ferait sens ?

Pour le moment, il n’est pas envisagé que nous le fassions. Pour le moment en tous cas. Même à l’échelle de la France et de la Belgique, je préfère attendre les directives du siège à ce sujet, directives qui n’existent pas encore. Je sais que ce n’est, à l’heure actuelle, pas une question qui se pose. En revanche, il est clair que, même sans proposer des optiques Sigma et des boîtiers Panasonic, ou des boîtiers Sigma et des optiques Panasonic dans nos Leica Stores, nous aurons assurément des clients Sigma et Panasonic qui viendront soit pour nos optiques, soit pour nos boîtiers.

Après, à la réflexion, avant même de songer à ce que nous pourrions mettre en boutique ou non, je pense qu’il est important que Leica France, Panasonic France et Sigma France se rapprochent, ne serait-ce que pour faire connaissance et accorder nos violons. Pour la L-Mount alliance, je trouverais cela plus pertinent, au début, de mettre en place des évènements communs, des prises en main, des ateliers, des workshops à thème, durant lesquels les photographes intéressés par le système L élargi pourraient simultanément prendre en main nos produits, ceux de Panasonic et ceux de Sigma, pour constater ce qui existe et réfléchir à leur équipement idéal en piochant chez les uns et chez les autres.

 

Travailler avec Sigma va être très intéressant parce que eux ont toute une offre en zooms f/2,8, font aussi des objectifs que nous ne proposons pas, que ce soient des très grands angles ou de longs téléobjectifs. Panasonic, de son côté, est un électronicien hors pair et leurs hybrides plein format vont être fabuleux.

 

Il est très clair que l’intérêt de cette alliance, pour le photographe, c’est d’aller piocher chez chaque constructeur ce qui lui convient, parce que chaque constructeur a ses spécialités. Par exemples, chez Leica, nous avons bâti notre réputation sur des focales fixes lumineuses prestigieuses, avec un rendu caractéristique. Mais nous n’avons jamais, honnêtement, été des experts du zoom, même si le 24-90 mm f/2,8-4 du SL est très bon. Surtout, nous n’avons pour l’heure pas de zoom à ouverture constante dans notre catalogue. C’est justement là que travailler avec Sigma est intéressant parce que eux, par contre, ont toute une offre en zooms f/2,8, et font aussi des objectifs que nous ne proposons pas, que ce soient des très grands angles ou de longs téléobjectifs, voire des télézooms, que nous n’avons pas du tout. Ça va être très intéressant. Panasonic, de son côté, est un électronicien hors pair, et vu ce qu’ils font déjà avec leurs hybrides Micro 4/3, ce qu’ils vont proposer sur leurs hybrides plein format va être fabuleux.

Bon, bien sûr, de notre côté, nous allons continuer à vendre des boîtiers SL, qui n’est toujours pas démodé et qui dans certains domaines n’a pas d’équivalent (comme le viseur très haute définition dont je te parlais au début), mais je pense que la configuration moyenne d’un photographe qui voudra s’équiper dans en plein format dans le système SL, ça va être boîtier Panasonic, zoom lumineux chez Sigma et focales fixes très haut de gamme chez Leica. Et je pense que nous sommes assez intelligents pour bien nous entendre, d’un point de vue humain, avec les gens de Sigma France, Panasonic France, et ne pas nous marcher sur les pieds. Ça va être une belle aventure, quoi qu’il arrive, et j’ai hâte de m’assoir autour d’une table avec Sigma et Panasonic, d’abord pour me présenter, faire connaissance, et réfléchir à la manière dont nous allons pouvoir travailler ensemble en toute bonne intelligence et amitié.

 

Cyril Thomas
La tête de Cyril Thomas quand on lui parle de Sport Optics, de jumelles et de cèpes dans les sous-bois. (OK, ça n’a aucun rapport avec la photographie. Et alors ? C’est super bon les cèpes !)

 

 

Comme à tout le monde, je vais te demander de te pencher sur ta boule de cristal et regarder vers le futur. Comment envisages-tu Leica d’ici cinq ans, au niveau français et au niveau mondial ? Comment vois-tu évoluer les boîtiers, la demande dans un marché où les compacts sont agonisants et les reflex se font rattraper par les hybrides ?

Je pense que tu donnes beaucoup de réponses dans la question que tu poses. De mon côté, cela fait déjà plusieurs années que je constate, et je suis loin d’être le seul, que nous retournons à une structure de marché qui était celle de l’argentique. C’est à dire qu’il y a eu une explosion au début des appareils photographiques numériques, notamment avec les compacts, et beaucoup de gens qui ne savaient pas faire de photo s’y sont mis avec ces compacts numériques. Du coup, en termes de volume, on vendait beaucoup plus d’unités dans le passé. Depuis que les smartphones sont arrivés, tous ces gens qui ne connaissent pas vraiment la photo, d’un point de vue technique, mais qui ont un intérêt à en prendre, se sont dit « est-ce que j’ai vraiment besoin d’un appareil photo, ou est-ce que je peux juste utiliser un Huawei, un iPhone, ou d’autres types de smartphones pour faire mes photos ? » Il y a beaucoup de gens qui ont abandonné leurs compacts pour ne plus utiliser que leurs smartphones. Du coup, ce volume a considérablement diminué et nous sommes donc retournés à une structure de marché de l’argentique, mais en numérique.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Cela signifie que les gens qui font de la photo aujourd’hui sont des gens qui sont déjà des amateurs intéressés, des amateurs avertis, des passionnés et des professionnels. Voilà qui sont nos consommateurs aujourd’hui, toutes marques confondues. Après, chez Leica, bien sûr, nous avons comme clients tous ces gens qui sont intéressés par la photo mais qui, en plus, aiment les beaux produits, les très très beaux produits, les produits d’exception. Voilà, pour résumer un peu le marché de la photo aujourd’hui, mais je crois que je n’invente rien et que tout le monde l’a déjà bien compris.

L’avenir de Leica, que ce soit en France ou au niveau mondial… Je pense que Leica continuera à travailler sa distribution, à la développer. Nous avons à peu près 80 Leica Stores à travers le monde et 160 Leica Boutiques. Je pense que c’est destiné à se développer, que de nouveaux Leica Store seront ouverts au niveau mondial mais aussi notamment sur les marchés que je dirige, qui sont la France et la Belgique. Que ce soient des Stores qui nous appartiennent en nom propre ou des partenaires qui décident d’ouvrir le leur. Voilà comment je vois le développement de la distribution. Je pense que quand tu proposes une marque comme Leica, avec les produits de Leica et la catégorie de prix dans laquelle nous jouons, tu as besoin d’avoir un service et un conseil très spécifique. C’est pour cela que nous avons développé une distribution sélective : pour s’engager avec des partenaires qui sont au fait de l’actualité et de la philosophie Leica, qui sont formés en profondeur sur nos produits, et qui sont capables de donner des informations pertinentes sur la marque et les produits.

Où est-ce que va la photo dans l’avenir ? Là je te dirai qu’il faudrait que je regarde dans une boule de cristal. Je n’en sais trop rien. Ce que l’on voit, c’est qu’il y aura sûrement des nouvelles révolutions qui vont arriver, que ce soit dans la multiplication des optiques ou des capteurs, que ce soit dans le computational imaging, que ce soit dans de nouveaux types de capteurs que nous allons utiliser… Il y a beaucoup d’évolutions dans cet univers et, dans ma position, je suis bien incapable de préjuger de ce qui va arriver exactement demain.

 

Il y aura sûrement des nouvelles révolutions qui vont arriver, que ce soit dans la multiplication des optiques ou des capteurs, que ce soit dans le computational imaging, que ce soit dans de nouveaux types de capteurs que nous allons utiliser.

 

Ce qui va arriver demain, c’est Pixii. As-tu entendu parler de Pixii ?

Non. De quoi s’agit-il ?

 

 

Pixii, c’est une jeune société française basée à Besançon, qui a été fondée par un Leicaïste qui rêvait de fabriquer son propre appareil photo. Ce serait donc le premier constructeur français depuis plus de quarante ans. Le boîtier utilise une monture M et un télémètre développé en interne, en France, donc. Du coup, ce sera un boîtier télémétrique numérique, en monture M, sans écran, ce qui, forcément, n’est pas sans rappeler le M10-D.

Et bien c’est un beau projet !… C’est toi ?

 

 

Ah ah, non, même si j’aurais bien aimé. Mais du coup, comme ça, à chaud et pour finir l’interview, qu’en penses-tu ? comment perçois-tu ce potentiel futur concurrent de Leica, même si ce ne sont pas tout à fait les mêmes produits, la même histoire ni les mêmes tarifs ?

Je suis curieux, du coup. Mais je ne me sens pas en danger, au contraire, le fait que le Pixii soit à un boîtier télémétrique à capteur APS-C vient plus en complément de nos M qu’en concurrence, d’autant plus si les tarifs pratiqués sont inférieurs aux nôtres. Plus de choix pour les photographes, ce ne peut qu’être positif ! De nouveau, ma philosophie est la suivante : nous pourrions dire que Canon, Nikon, Sigma sont des concurrents de Leica, mais je ne le vois pas comme ça. Je vois des marques qui proposent des produits, avec chacun un positionnement différent, même si certaines sont sur un même marché, et que toutes ces belles marques font des beaux produits. En tous cas, certains sont des beaux produits. Vis à vis de Pixii, je ne peux que me réjouir de voir arriver plus de beaux produits sur le marché, qui donnent envie à des consommateurs de plus investir dans l’univers photo et de développer leur côté photographe, leur côté artistique, en sortant des sentiers battus. On ne peut que s’en réjouir.

3 commentaires sur “[Salon de la photo 2018] En tête-à-tête avec Cyril Thomas, le nouveau capitaine à la barre de Leica France”

  1. J’aurai bien voulu avoir des détails sur le partenariat Huawei/Leica, qui selon moi, dénature l’aura de Leica.

    1. Je note la remarque ! Et, si cela peut rassurer, en interne, ce partenariat préoccupe également beaucoup (même si, dans l’immédiat, c’est plutôt Blackstone qui est le caillou dans la chaussette).

  2. Hello Bruno,
    Marrant, tu débutais avec un FZ18 quand j’étais moi aussi (et depuis début 2005), un grand fanatique du FZ20…. dont j’appréciais autant l’ouverture constante que la qualité de fabrication.
    Par la suite nous avons divergé, pour ma part en raison de l’accessibilité prix et de l’ergonomie des reflex Pentax, dont la compacité relative des optiques m’a toujours ravi.

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