D’ailleurs les hybrides ont-ils vraiment bousculé le marché ? Vont-ils inévitablement remplacer les reflex ? Revivons cette première décennie d’hybrides à travers les données de ventes CIPA : une aventure instructive qui devrait nous permettre d’éclairer l’avenir du marché de la photographie.
Mais d’ailleurs, c’est quoi la CIPA ?
Avant de plonger dans la montagne de graphiques et l’avalanche de nombres, petit point culture pour d’abord répondre à cette question. Ou plutôt, à celle-ci : c’est qui la CIPA ? Est-ce que ça se mange ? (Non.)
CIPA est l’acronyme de « Camera & Imaging Products Association ». Comme son nom l’indique, la CIPA est un regroupement industriel d’entreprises impliquées dans le développement, la production et la vente de produits liés à la prise de vue vidéo et photo numérique (ce qui inclut les caméras vidéo, les appareils photo, les objectifs, les imprimantes, etc). Sur le papier, la CIPA n’existe « que » depuis juillet 2002 mais, dans les faits, elle a été bâtie sur les fondations de la JCIA (Japan Camera Industry Association) qui, elle, a œuvré entre avril 1954 et juin 2002. Ces origines expliquent notamment pourquoi l’écrasante majorité des membres de la CIPA sont des entreprises japonaises.
Il existe deux sortes de membres : certains ont droit de vote (Regular Members) et d’autres non (Supporting Members). Dans la première catégorie, vous retrouvez des noms qui ne devraient pas vous être inconnus : Canon, Casio, Fujifilm, Hoya, Kenko, Nikon, Olympus, Panasonic, Ricoh, Seiko Epson, Sigma, Sony et Tamron. À ces treize là, il faut ajouter deux membres moins connus du grand public occidental : Copal (spécialisé de la conception, production et vente d’obturateurs mécaniques) et Xacti, la branche de Sanyo qui fabrique des APN et des caméscopes. Notez donc que ce « club des quinze » est 100 % japonais ! Dans la seconde catégorie, ceux sans droits de vote, vous retrouvez vingt-quatre entreprises, pas forcément japonaises, dont les plus connues sont les suivantes : Adobe, Apple, Brother Industries, Carl Zeiss, Fujitsu, Fuji Xerox, Huawei, Microsoft, Samsung et Toshiba… Bref, du joli monde !
Parmi les membres de l’association, huit ont une influence bien plus grande que les autres, puisqu’ils constituent la direction du CIPA, avec des prérogatives correspondantes. En d’autres termes, les vrais boss de l’industrie de la photographie, ceux qui déterminent ce que doit ou peut être un appareil photo, ceux qui peuvent accélérer le déploiement d’un type de produit (ou le ralentir), ce sont ces huit là. Et les deux fois Quatre Fantastiques sont… (roulements de tambours)… Canon, Fujifilm, Olympus, Panasonic, Ricoh, Sigma, Sony et Kenko Tokina. Quelle surprise ! (Notez que si Tamron ne fait pas partie de ces huit, Shiro Ajisaka, Président et CEO de Tamron, est également vice-président de la CIPA.)
Mais du coup, à part boire du thé matcha et se rouler des surispliffs, on fait quoi à la CIPA ? Oh, trois fois rien. Juste définir les standards industriels de la photographie. Par exemple : comment mesure-t-on l’autonomie d’un APN ? Comment mesure-t-on la stabilisation d’un objectif/d’un boîtier ? Comment faire que tout le monde puisse lire les Exif de tout le monde ? Et plein de petites choses comme ça. Bref, plein de petites règles qui font autorité dans l’industrie et que même les non-membres suivent (par exemple, au hasard… Leica). Enfin, quand elle n’est pas occupée à rédiger des règles techniques plus ou moins compliquées, la CIPA compte les points. Ou, plus précisément, les APN produits et vendus à travers le monde, par ses membres (autant dire plus de 99 % des APN produits et vendus). Ce qui tombe bien, puisque c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui. Et, plus précisément, ce sont sur les données de production et de livraisons annuelles d’APN, de 2006 à 2017, que nous allons nous pencher.
« Ouais mais y’a arnaque, dans le titre de l’article, tu parles de 2008-2018 ! » C’est vrai. Le truc, c’est que les données complètes pour l’année 2018 ne sont pas encore disponibles (puisque nous ne sommes qu’en septembre). D’une part. D’autre part, les hybrides ont beau avoir été introduits en 2008, il faut forcément remonter un peu avant pour constater s’il y a changement (ou non). Et puis, 2006, c’est l’année d’arrivée du premier iPhone, donc du cataclysme smartphone (du point de vue de la CIPA)… Bref, maintenant que le décor et les acteurs ont été introduits et que tout est en place, en avant Guingamp !
2006-2017 : une décennie de chamboulements technologiques et de catastrophes naturelles
À ce niveau là, parler de dégringolade relève clairement de l’euphémisme. Par rapport à son record historique de 2010 (plus de 121 millions d’APN ont été vendus cette année là), le marché de la photographie ne semble plus que l’ombre de lui-même. Le plus bas niveau a été atteint en 2016, avec seulement 24,1 millions d’APN vendus à travers le monde, soit des ventes quasiment divisées par six en six années à peine ! Pour retrouver des ventes aussi faibles, il faut remonter à 2002 (24,5 millions d’unités vendues), soit avant le grand boom de la photographie numérique !
Les ventes d’APN ont été divisées par six en six ans à l’échelle mondiale entre 2010 et 2016 !
Pour remettre les choses dans leur contexte, plusieurs dates sont importantes à souligner afin de bien vous faire saisir l’aspect catastrophique de la décennie écoulée :
- En juin 2007, Apple introduit l’iPhone de première génération, ce qui va déclencher la déferlante des smartphones, au détriment des ventes d’APN compacts d’entrée et milieu de gamme.
- En septembre 2008, Panasonic présente le Lumix G1, le premier APN hybride « moderne » et désigné comme tel. (En fait, il existait déjà des APN numériques à objectifs interchangeables non reflex, l’Epson R-D1 dès 2004 puis le Leica M8 en 2006.)
- En octobre 2008, conséquence de la crise des subprimes de l’été 2007, l’économie mondiale s’effondre. Ceci se voit très bien avec le décrochage de 2009, mais les ventes d’APN repartent à la hausse en 2010 : le chant du cygne.
- En juin 2010, HTC et Apple présentent respectivement l’Evo 4G et l’iPhone 4. Ils sont les premiers smartphones équipés d’un capteurs BSI CMOS, et c’est ce basculement technologique qui va réellement sceller le sort des APN compacts.
- Le 11 mars 2011, la côte nord-est du Japon est frappée par un séisme de 9,1 de magnitude, qui engendrera le violent tsunami qui fera plus de 18000 de morts et disparus. Les dégâts matériels sont considérables d’autant plus que la préfecture très industrialisée de Sendai concentre de nombreuses usines photographiques : Canon stoppe huit usines (boîtiers, optiques, imprimantes), l‘usine de Nikon au Sendai (où sont produits les modèles les plus hauts de gamme) est à l’arrêt, Sony et Panasonic sont également touchés. S’en suivent, forcément, pénuries, problèmes d’approvisionnement, retards dans les livraisons, coût des reconstructions, etc.
- En novembre 2011, c’est la Thaïlande qui subit les inondations les plus importantes de ses 50 dernières années. L’industrie des disques dur se retrouve à l’arrêt, avec une pénurie presque mondiale aussi bien chez Western Digital que Seagate (pour ne citer que les progrès) et, côté photographie, c’est Nikon qui, pour la seconde fois de l’année, est le plus touché, avec des pertes estimées à 65 milliards de yen (585 millions d’euros !). Ce coup-ci, ce sont les reflex d’entrée de gamme qui sont touchés. La production restera à l’arrêt jusqu’en mars 2012.
- En octobre 2013, soit cinq ans après les premiers hybrides, Sony présente les Alpha 7 et 7R, premiers hybrides modernes équipés de capteurs 24 x 36 mm.
- En septembre 2015, la préfecture du Sendai se retrouve, une nouvelle fois, partiellement sous l’eau, cette fois-ci à cause du typhon Etau.
- En avril 2016, c’est l’ouest du pays et plus précisément la préfecture de Kumamoto qui est touché par un séisme, ce qui entraîne l’arrêt de l’usine de production de capteurs Sony, qui fournit une grande partie du marché. La pénurie qui en résulte entraîne une baisse des ventes de 26 % des APN à l’échelle mondiale. Toute l’industrie est indirectement touchée mais, là encore, Nikon continue à jouer de malchance puisque c’est en grande partie à cause de Kumamoto le constructeur ne pourra jamais lancer sa série de compacts experts à capteurs Type 1″, les DL.
Bref : joie et bonheur ! Comme vous pouvez le constater, les dix années écoulées n’ont pas été un long fleuve tranquille pour l’industrie photographique japonaise et, quelque part, rétrospectivement, nous pouvons presque considérer que nous avons eu de la chance que les hybrides soient sortis en 2008, et pas deux ans plus tard. De même, et pour le dire très familièrement, Mère Nature semble tellement avoir pris un malin plaisir à chier spécifiquement sur la gueule de Nikon pendant dix ans que c’est un quasi-miracle que les hybrides Z aient pu voir le jour ! C’est admirable, la résilience japonaise…
Un marché en déclin ? Certes… mais surtout un marché plombé par les compacts !
Forcément, ce qui frappe au premier regard avec le graphique précédent, c’est la forme en cloche très marquée, la colonne du total des APN et la courbe de l’évolution des ventes de compacts et bridges. En ne se focalisant que sur ces deux là, on en viendrait presque à ignorer la ligne des APN à objectifs interchangeables. Pourtant, si vous observez les choses plus attentivement, ceux-ci se portent (plutôt) bien et sont même en augmentation sur la décennie. Pour mieux visualiser cela, reprenons les données précédentes mais en mettant ce coup-ci en avant l’évolution du ratio APN à objectif fixe vs. APN à objectif interchangeable :
Là, le rapport de force est un peu plus évident. Alors qu’en 2006 les reflex ne représentaient que 6,6 % des ventes d’APN, la parité est quasiment atteinte depuis 2016 et 2018 devrait être l’année de la bascule puisque depuis janvier, il s’est chaque mois vendu plus d’APN à objectif interchangeable que d’APN à objectif fixe ! L’écart record a été établi en mai 2018 où il s’est vendu 44 % de reflex et hybrides en plus que de compacts et de bridges. Cela est à la fois dû au fait qu’il se vend moins d’APN à objectif fixe (compacts et bridges) et, dans le même temps, de plus en plus d’APN à objectif interchangeable (reflex et hybrides). Mais là, il n’est question que de volume. Puisque les données sont également fournies par la CIPA, que cela représente-t-il, en termes de valeur ? Je vous propose deux graphiques : le premier en yen, le second en euro et en tenant compte de l’évolution du cours du yen par rapport à l’euro dans la période temporelle considérée. (J’ai utilisé les taux de change fournis par la Banque de France.)
Si la version en euro permet de montrer l’importance des fluctuations du taux de change du yen ces dix dernières années notamment sur les politiques tarifaires pratiquées par certains constructeurs (disons, Sony… mais ce n’est pas l’objet du jour), il nous sert surtout, habitués à l’euro, à mieux nous figurer les ordres de grandeur dont il est question. En l’occurrence, avec un chiffre d’affaire d’environ 6,3 milliards d’euros en 2017 rien que pour les APN, auxquels il faut ajouter les 2 milliards d’euros des objectifs (qui figurent dans des tableaux séparés sur le site de la CIPA), l’ensemble forme un marché loin d’être petit, même si nous sommes loin de son âge d’or ! Bon, après, si on compare au marché des capteurs CMOS, qui s’établissait à 11,8 milliards d’euros en 2017…
Ce qui frappe surtout en mettant en relation les trois graphiques ci-dessus est que, bien qu’il se vende un peu plus de compacts et bridges que de reflex et hybrides, le chiffre d’affaire généré par la seconde catégorie dépasse celui de la première depuis 2012 et que, en 2017, à volumes de vente équivalents, les APN à objectifs interchangeables rapportent 2,7 fois plus que ceux à objectifs fixe (ou 170 % de plus, si vous préférez parler en pourcentage). Je vais le mettre en gras, pour celles et ceux qui survoleraient juste l’article :
En 2017, il se vend autant d’APN à objectif interchangeable que d’APN à objectif fixe, mais les reflex et hybrides rapportent 2,7 fois plus que les compacts et bridges.
Vous remarquerez également un comportement intéressant : entre 2012 et 2014, le chiffre d’affaire des APN à objectif interchangeable chute brusquement ( -40%) puis se stabilise. Mais d’où cela vient-il ? Est-ce parce que les hybrides ont complètement grignoté les ventes de reflex ? Est-ce parce qu’après l’euphorie des premières années, les ventes se sont tout simplement tassées ? Pour la chute brutale, une bonne partie de l’explication réside dans les différentes catastrophes naturelles que nous avons déjà évoquées. Mais pour le reste, nous allons regarder encore plus en détail comment se répartissent les ventes d’APN à objectif interchangeable entre les reflex et les hybrides (puisqu’à la base, nous sommes quand-même là pour ça).
L’hybride, une tendance qui prend lentement mais sûrement, profitant du déclin du reflex
Ce n’est que depuis 2012 que la CIPA sépare les ventes de reflex, ou « Single Lens Reflex » dans la nomenclature officielle, de celle des hybrides, ou « Non-Reflex », dans la nomenclature officielle, ce qui n’est pas très inspiré mais pragmatique. Et en fait, 2012, nous venons de le voir ci-avant, ça nous arrange, puisque c’est la période qui suit qui nous intéresse le plus. Ce qui mérite bien un petit graphique (encore) :
Surprise(s) ! Si le chiffre d’affaire des APN à objectifs interchangeables semble se stabiliser depuis 2012, ce n’est pas dû à un simple report des achats des reflex vers celui d’hybrides. En fait, la vente de ces derniers est étonnamment stable entre 2012 et 2017, et toujours inférieure à celle des reflex. Par contre, et c’est frappant, la vente de reflex est en décroissance régulière, puisqu’il s’en est vendu deux fois moins en 2017 qu’en 2012. Au regard des courbes et des tendances qui semblent s’en dégager, nous pourrions être tentés de pronostiquer qu’à l’horizon 2020-2021 il se vendra autant d’hybrides que de reflex. Mais plutôt que de jouer à Madame Irma, retenons plutôt ceci :
En 2012, les hybrides ne représentaient que 19 % des ventes d’APN à objectifs interchangeables. En 2017, cette proportion est passée à 35 %, à l’échelle mondiale. Ce ratio va en croissant, puisqu’en 2018, en moyenne, il est de 37 %.
Cette dernière précision, « échelle mondiale », est très importante, car les données reflètent de grandes disparités régionales dans le taux d’adoption de l’hybride. Et, devinez quoi ? Cela va mériter (encore) un autre graphique. En fait, six en un :
Comme vous pouvez le constater, il se dégage effectivement une véritable tendance mondiale montrant que l’hybride grignote peu à peu des ventes au reflex. Mais toutes les régions ne sont pas égales devant ce phénomène. Au Japon, l’adoption a été très rapide, mais les reflex continuent à faire de la résistance. L’Asie a mis plus de temps à s’y mettre mais se convertit désormais au pas de charge. D’ailleurs, cette région est devenue le premier marché photographique mondial… au détriment de l’Europe et de l’Amérique. Ces deux « vieux continents » font de la résistance, puisque les hybrides y représentent encore moins de 25 % des ventes d’APN à objectif interchangeable. Mais ils s’y mettent, peu à peu. Vous aurez également noté, au passage, qu’il n’y a encore aucune région dans laquelle il se vend plus d’hybride que de reflex.
Au point où nous en sommes, nous pouvons nous poser la question suivante, un peu comme précédemment avec les interchangeables par rapport aux fixes : qu’est-ce qui génère le plus d’argent entre les reflex et les hybrides ? Voyons donc ensemble. Petit zoom arrière pour constater la situation à l’échelle mondiale.
Lorsque nous considérons la valeur plutôt que le volume, le comportement se révèle légèrement différent. Le recul de 54 % en volume pour les reflex ne se traduit que par un recul de 44 % en valeur. Ce qui signifie que, s’il se vend moins de reflex, ceux vendus le sont légèrement plus chers. Ou, dit autrement, je serais tenté de dire que ce sont surtout les reflex d’entrée de gamme qui baissent. Du côté des hybrides, si en 2017 ils représentaient 35 % des APN à objectif interchangeable en volume, ils représentent 38 % en valeur.
Nous touchons presque au but mais, à ce moment de la réflexion, une question m’est soudain venue à l’esprit : c’est quoi, le comportement du prix moyen des reflex et hybrides achetés en fonction de la région ? Et là, en vrai, je vais devoir vous épargner les graphiques, parce que ce ne serait pas parlant. Néanmoins, j’ai fait les calculs, et ils sont sans appel. Il en est ressorti trois constats capitaux :
- Partout dans le monde, depuis 2014, le prix moyen des hybrides achetés est supérieur à celui des reflex. Partout dans le monde, sauf au Japon (bizarrement).
- Cette tendance va d’autant plus en s’accentuant que le prix moyen des reflex descend quand celui des hybrides monte.
- Ce sont en Europe et en Amérique, continents pourtant a priori « réfractaires » que l’écart de prix entre hybrides et reflex est le plus important, en faveur des hybrides.
Je ne sais pas pour vous, mais voici la manière dont j’interprète cela : le marché reflex tendrait à « s’entrée-de-gammiser » quand celui des hybrides tendrait à « se haut-de-gammiser » (ouais c’est mon blog, je fais les néologismes que je veux).
Nous voilà donc, au terme de cette petite enquête, les mains pleines d’informations qu’il nous faut trier. Ce afin de répondre à la question initiale :
En 10 ans, comment les hybrides ont-ils bousculé le marché ?
Ce qu’il faut retenir :
Entre 2010 et 2016, les ventes d’appareils photographiques numériques ont été divisées par six.
Cette baisse est surtout due au déclin des compacts et bridges.
Depuis 2010, il se vend de plus en plus de reflex et hybrides.
Depuis janvier 2018, les ventes de reflex et d’hybrides ont dépassé celles de compacts et bridges.
À volume égal, les reflex et hybrides rapportent 2,7 fois plus que les compacts et bridges.
En 2017, plus d’un APN à objectif interchangeable sur trois est un hybride (et ce ratio va en croissant).
Le prix moyen des hybrides vendus tend à augmenter pendant que celui des reflex diminue.
À vrai dire… parler de bousculement est peut-être un peu prématuré, l’heure du grand remplacement n’est pas venue et les reflex n’ont pas dit leurs derniers mots. Les compacts non plus, d’ailleurs, puisque s’il s’en vend moins, leur prix moyen monte, ce qui reflète le succès des compacts experts à grands capteurs et ceux à gros zoom (bon, en même temps, il n’y a presque plus que cela au catalogue des constructeurs). Mais les compacts ne sont pas l’objet du jour.
Depuis leur arrivée en 2008, les hybrides ne se sont pas forcément imposés de manière tonitruante, en raflant tout sur leur passage, contrairement à ce que certains auraient pu espérer (ou redouter). À la place de cela, ils se sont imposés en douceur, progressivement, sans jamais faillir, en se forgeant une base solide. En vrai, ces dix premières années ont surtout été un terrain d’expérimentation et, encore plus, une longue course de fond pour prouver la valeur photographique des hybrides. Car c’est bien dans leurs rangs que se jouait la bataille technologique, puisqu’il fallait bien prouver sa pertinence face à des reflex déjà bien implantés sur le terrain et dans les esprits. En effet, et on aurait tort de l’oublier, la conquête est surtout psychologique et c’est contre l’inertie des mentalités, forgée par le double dogme « nihil ex reflex » et « un grand capteur, c’est mieux« , que les constructeurs d’hybrides ont dû batailler (et ce n’est pas fini).
Bref : une décennie durant laquelle il a surtout fallu faire de la pédagogie. Toutefois, contrairement à une mode éphémère pour laquelle l’engouement retomberait aussi vite qu’il est monté, les hybrides sont là, et cela va durer. Même le plus sceptique des comptables ne peut que constater les chiffres : parmi tous les types d’appareils photographiques, les hybrides sont, ces dix dernières années, les seuls à avoir à la fois gagné en volume et en valeur. Et ça, ce que le comptable y voit, c’est un relais de croissance (la vidéo 4K 60p, les capteurs 24 x 36 mm, les optiques f/0,95 ne sont eux que des moyens).
Le grand boum des hybrides n’a, finalement, pas encore eu lieu… mais cela ne saurait tarder ! Si l’on suit la logique strictement comptable et l’habituel attentisme de Canon et Nikon, ces deux là arrivent pile poil au bon moment pour profiter de cet envol et récolter les fruits semés par Sony, Panasonic, Olympus et Fujifilm. Et leur décision de s’attaquer au haut de gamme des hybrides, i.e. ceux à capteurs 24 x 36 mm, est plus que pertinente, car ce sont bien eux qui vont permettre au marché de repartir vers cette hausse tant attendue et à laquelle plus personne n’osait rêver. (Nonobstant les catastrophes climatiques. Mais ça, c’est une autre histoire.) Vous me direz, pour pondre une telle conclusion, il n’y avait pas besoin d’en faire tout un foin : instinctivement, tous ceux qui suivent de près l’évolution de la photographie en seraient arrivés au même point que moi, avec beaucoup moins de blabla. Certes, certes.
À quels chamboulements pouvons-nous nous attendre ces dix prochaines années ?
Ça, si je voulais un article bien construit, ce serait une manière logique de conclure puis d’aménager une ouverture. Seulement, à chaque fois que je fais des paris, je me plante, donc je vais m’abstenir. Néanmoins, je partage quand-même mon avis, avec une seule certitude : les dix prochaines années verront (ré)apparaître un hybride Ricoh Pentax enfin digne de ce nom. Bon, en fait, deux certitudes : avec l’arrivée des hybrides Canon et Nikon 24 x 36 mm, il est plus que probable que le ratio hybride/reflex s’accélère d’un seul coup et je suis prêt à parier ma masse en chocolatines que, d’ici fin 2019, la parité sera atteinte.
De manière plus spéculative, il me semble assez peu probable qu’un nouveau chamboulement physique tel que l’a été l’hybride par rapport au reflex survienne dans les dix années à venir. Les reflex survivront, assurément, aux deux extrémités du spectre. Parce que des débutants auront encore longtemps cette image idéalisée du reflex comme premier appareil photo. Parce que, dans la distribution, il restera toujours des réfractaires pour aller dans ce sens. Parce que, dans le haut de gamme, les reflex conservent des avantages physiques et structurels par rapport aux hybrides, à commencer par l’autonomie (et à moins d’un grand chamboulement de la technologie Li-ion). Parce que, s’ils n’ont objectivement que peu d’intérêt technique, on fait toujours des télémétriques numériques pour ceux qui se sentent mieux avec, il n’y a pas de raison que l’on arrête de faire des reflex pour ceux qui préfèrent ça. (C’est là que vous êtes censés me demander « mais pourquoi dans ce cas là on n’a pas fait de reflex bi-objectif numérique ? », ce à quoi je répondrai que je n’en sais rien.)
Les avancées technologiques, néanmoins, devraient surtout se faire du côté des hybrides. D’abord par nécessité (l’autonomie, la qualité de la visée électronique, l’ergonomie), ensuite par logique industrielle. Panasonic et Fujifilm, depuis longtemps, collaborent sur un capteur organique : ce sont donc leurs hybrides qui devraient en bénéficier, avant les reflex des autres. Pour les capteurs courbes, j’y crois beaucoup moins dans un hybride, mais pourquoi pas. Du côté de l’obturation, les dix années à venir verront arriver la généralisation des obturateurs globaux et, peut-être, des obturateurs asynchrones, ce qui serait un immense pas en avant. Verrons-nous arriver, dans nos APN, des systèmes dits « à Intelligence Artificielle » (alors que ça n’en est pas) ? J’en doute très, très fort, notamment parce que le public pour des APN sera, de plus en plus, un public de passionnés et d’expérimentateurs, ce qui me semble assez peu compatible avec les hyper-automatismes des smartphones (et tout ça pour simuler du bokeh, en plus…).
En attendant, merci à eux, par ordre d’apparition : Epson, Leica, Panasonic, Olympus, (Samsung), Sony, Fujifilm, (Pentax), Nikon et Canon.
Très bel article qui prend bien en compte les aléas du réel dans le marché et permet d’avoir une vision plus juste de l’évolution des choses. Merci beaucoup pour tout ça ! Je vais garder cette analyse dans mes tablettes (comme disent mes ainés …).
Concernant les chamboulements de ces dix années à venir, je pense qu’on peut ajouter quelques petites choses quand même, ce n’est que mon avis évidemment :
– réduction des gammes ; je pense notamment à Canon qui est quasiment sur tous les segments hormis le MF
– donc disparition de certaines montures à l’instar du Nikon 1-mount et je ne donne pas cher de la monture Q de Pentax
– j’ai la sensation, c’est qu’une sensation je peux me tromper, que les flash intégrés disparaissent déjà (et c’est pas moi qui vais me plaindre)
– arrivée de fonctions de plus en plus intégrées de publications immédiates