Sigma fp

Sigma fp, l’hybride 24 x 36 mm que vous n’attendiez pas mais que vous allez adorer. Peut-être. Ou pas.

Dans le cadre de la L-Mount Alliance, Sigma n’était attendu qu’en 2020 pour son hybride 24 x 36 mm à capteur Foveon. Finalement, le constructeur entrera en scène dès cet automne avec le fp… et son capteur BSI CMOS.

 

 

 

 

Au commencement était la déception

 

 

11 juillet 2019, 10 heures 35 (du matin). Deux nouveaux messages dans la boîte mail, dont le dernier avait pour objet « One more thing… ». Tiens tiens. Sigma s’apprêterait-il aussi à sortir un râpe à fromage géante ?

 

Bonjour,

SIGMA France a le plaisir de vous annoncer 1 nouveau produit :

  • SIGMA fp

L’appareil photo hybride plein format le plus petit et le plus léger du monde.

 

Quoi ? Quoi ? Quoi ? L’hybride en monture L de Sigma et son capteur Foveon en 24 x 36 mm sont déjà là, avec plus de six mois d’avance, alors que le boss s’était récemment excusé de devoir repousser la sortie du boîtier à 2020 ? Mais c’est trop génial ! Mais c’est trop cool ! C’est Noël en pleine canicule – même si avec le réchauffement climatique il va falloir s’y habituer. Oui. Sauf qu’en fait, non. Si le Sigma fp est bien un hybride signé Sigma, doté d’une monture L et d’un capteur 24 x 36 mm, les initiales fp ne veulent pas du tout dire « Foveon Powered » (ni Foucauld Prové, d’ailleurs). Et pour cause !

L’imageur au cœur du fp n’est pas du tout un Foveon mais un « banal » BSI CMOS de 24,6 Mpx effectifs. Trahison ! C’est comme s’attendre au meilleur gâteau au chocolat de sa vie et finalement découvrir une bête crêpe au sucre. Tout ça pour ça. Et en plus il n’y a pas de viseur intégré. D’ailleurs il n’y a même pas de griffe porte-accessoire. Et en plus l’écran est fixe. Et en plus le capteur n’est même pas stabilisé. Tu m’étonnes qu’ils aient réussi à pondre l’hybride le 24 x 36 mm le plus compact et le plus léger (422 grammes avec batterie et carte SD UHS-II) jamais produit (à date) !

 

Le Sony RX1R II est un peu plus gros, un peu plus lourd, mais intègre un viseur électronique (lui) et, surtout, un objectif. (Bon ok, du coup, ce n’est pas un hybride.) (Et vous aurez noté que, pour que je sorte le Sony RX1R II comme joker, c’est que j’ai particulièrement envie d’être de mauvaise foi.)

 

Le Leica CL, quant à lui, est bel et bien un hybride (avec viseur intégré) et en monture L. Mais il ne dispose que d’un capteur de taille APS-C…

 

Bref, comment vous dire qu’au premier regard, ce n’a pas vraiment été le coup de foudre et plutôt la douche froide. Allons, allons, Sigma ! Faut pas nous faire des frayeurs comme ça, on est trop vieux pour des déceptions sentimentales ! Papa Kazuto, faut arrêter de picoler de la bière pendant les photokina et CP+, tu as la cravate et les idées de travers. Mais bon. On va faire comme si on n’avait rien vu, tu remballes ça, tu reviens plus tard avec le même mais en Foveon, et on te pardonne. Pendant ce temps, on va prendre un bol d’air une pinte de bière.

 

Martine a la folie des grandeurs.

 

 

Et le communiqué de presse dit : « en fait, il est modulaire ! »

 

 

Il faut croire que le bol d’air (ou la pinte) a porté conseil. Le temps de noyer mon chagrin et retarder mon rêve d’enfin pouvoir monter mon Leica Summilux-M 50 ASPH sur un boîtier à capteur Foveon, les petits camarades de la high tech photographique francophone s’accordent tous sur un point, des Numériques au Journal du Geek, en passant par 01Net et Le Monde de la Photo : le Sigma fp est petit, tout petit. Au point que Sigma, dans ses photos de présentation, n’hésite pas à le monter sur un drone. Pour sûr, avec un Lumix S1 et son quintal (j’exagère à peine), l’exercice est plus compliqué. Quelle drôle d’idée ! Et puis, que va faire Sigma dans cette galère ? Et puis, c’est quoi ce montage bien surchargé en configuration cinéma, façon BlackMagic Pocket Cinema Camera 4K ? Tiens tiens… Une lecture plus attentive du communiqué et de la fiche technique s’impose.

 

Martine s’envoie en l’air.

 

« Pocketable full-frame camera« . Voilà qui commence bien, mais nous nous en doutions. La suite est encore plus intéressante puisque le Sigma fp est qualifié de « scalable » (« évolutif », ça n’a rien à voir avec les scalaires qui font peur), précisant ensuite qu’il s’agit d’un “open and liberal system that allows one to pair the camera with lenses and accessories« . Oh oh ! Le fp profiterait-il de sa petite taille pour concrétiser, en 24 x 36 mm s’il vous plaît, ce vieux serpent de mer de l’appareil photo petit format modulable dont on pourrait par exemple changer l’écran, le viseur, les accessoires de préhension, et ainsi de suite ? Un peu comme ce qui se fait déjà largement dans le moyen format, dont le très récent projet 907X d’Hasselblad ou le Fujifilm GFX100 que j’ai pu prendre en main et dont je vous reparlerai probablement bientôt ? Ou bien encore, s’agit-il de quelque chose dans le genre de l’appareil photo modulaire présenté par Olympus lors de la photokina 2014 ? En fait… Rien de tout cela.

 

Martine a des boucles d’oreilles asymétriques. Pour la peine, Martine est privée de dessert (et de prise casque).

 

En fait de modularité, il s’agit plutôt d’une modularité « à l’ancienne ». Sigma continue dans sa tradition du « moyen format qui n’en est pas un ». Comme il n’y a pas de griffe porte accessoire intégrée, impossible de greffer directement un viseur électronique sur le boîtier. Ce qui semble plus que saugrenu puisqu’en monture L 24 x 36 mm, les Leica SL et Lumix S1/S1R ont tous deux, respectivement et successivement, battu les records de définitions pour des viseurs LCD puis OLED. Mais pas de soucis ! Papa Kazuto « La Bricole » (enfin, ses ingénieurs) ont prévu le coup ! Si vous voulez absolument un viseur électronique, il faudra fixer sur la gauche du boîtier l’accessoire porte griffe accessoire (inception) HU-11, sur lequel vous grefferez ensuite le viseur électronique LVF-11 pour lequel nous n’avons pour l’heure aucune information. Finalement, même s’il était bizarrement placé, le viseur intégré aux sd Quattro avait au moins le mérite d’exister… Notez que sur le HU-11 vous pouvez également greffer un flash déporté EF-630. À l’ancienne. De quoi rappeler les proéminents flashs déportés de la grande époque du photoreportage à l’argentique ou, pour celles et ceux qui souffriraient de collectionnite aigüe, les accessoires CTOOM, BTLOO, BTOOK, BWOOG, ZUPOO et BUNOO de Leitz au début du siècle dernier. (Oui, ils étaient créatifs dans leurs références.)

 

Martine découvre le XXIème siècle.

 

Au point où j’en suis, autant continuer à lister les autres accessoires disponibles, du moins les plus intéressants (à mes yeux) : la poignée HG-11 pour améliorer la préhension, la poignée combinée à une semelle (référence HG-21), le mini-grip BG-11 pour rehausser la bête, la télécommande filaire CR-41 (qui du coup n’est pas la même que celle des sd Quattro), la bague MC-21 qui permet de monter les optiques en monture Canon EF ou Sigma SA : les utilisateurs de sd Quattro et sd tout court apprécieront. Par contre, le futur Sigma fp n’utilisera pas la batterie BP-61 (1860 mAh, 7,6 V) des sd Quattro (à objectifs interchangeables) mais la BP-51 (1200 mAh) des dp Quattro (à objectif fixe). Allez comprendre. Néanmoins, selon Cinema5D qui a eu l’occasion de le prendre en main lors de la présentation tokyoïte, cette capacité semble suffisante pour une utilisation quotidienne. Merci à la sobriété du capteur BSI CMOS. Pour des usages plus soutenus, il sera possible de recourir à la combinaison adaptateur SAC-7P + connecteur CN-21 (le même que pour les dp Quattro) afin d’alimenter le boîtier directement depuis le secteur… ou une batterie externe. C’est important pour la suite. « Mais pourquoi ne pas tout simplement utiliser la prise USB 3.1 Typ C, comme sur un Lumix S1/S1R ? » Parce que, s’il sera effectivement possible de recharger le boîtier via l’USB, ceci ne fonctionnera que boîtier éteint. Donc c’est à moitié cool, à moitié pas si cool.

 

Martine essaye les vêtements de sa mère.

 

Bien sûr, en ce qui concerne les accessoires évoqués, tout comme pour le boîtier, Sigma n’a encore communiqué aucune date de disponibilité ni tarif. Les paris sont ouverts mais, côté boîtier, il serait suicidaire de dépasser la barre des 1800 €. Et encore, je suis généreux, parce qu’en vrai, 1600 € serait probablement la limite haute avisée (ou à viser). Parce que, vu le contenu technologiques, ce n’est pas non plus la révolution (vu de l’extérieur non, mais vu de Sigma si) (en fait, ça rappelle un peu les nouveautés Leica cette histoire), mais la fiche technique cache quelques pépites et morceaux de bravoure qui méritent de s’y attarder.

 

 

Et la lumière jaillit jusqu’au Foveon BSI CMOS

 

 

En ce qui concerne l’électronique embarquée, au risque de vous décevoir, ça va aller très, très vite. Le processeur est inconnu. S’agit-il d’un duo de TRUE III comme dans le sd Quattro ? Mystère. Mon avis est qu’il s’agit d’un tout nouveau processeur adapté aux spécificités de la matrice de Bayer par rapport à celles du Foveon (même si en fait, c’est plutôt l’inverse) ainsi qu’à la vidéo. Le capteur quant à lui est un BSI CMOS de 35,9 x 23,9 mm comptant 25,38 Mpx réels pour 24,6 Mpx effectifs (6072 x 4056 px). Et puis… c’est tout. Notez que, pour une fois, tout le monde sera d’accord sur la définition d’un capteur Sigma, et surtout la manière de la compter. Ça évitera les allers-retours entre confrères et le service de presse de Sigma France en mode « attends, t’es sûr ? Parce que là, si on multiplie par trois et qu’on retranche l’âge du capitaine, ça tombe toujours pas juste, même en penchant la tête dans le sens du vent… »

A priori, il ne s’agirait pas du même capteur que le Lumix S1, le Panasonic n’ayant pas opté pour du BSI CMOS. Il semble donc plus proche de celui des Nikon Z6 et Sony A7 III, tous deux d’origine Sony. Mais chez Nikon, si la surface utile est également de 35,9 x 23,9 mm, la définition utile n’est « que » de 6048 x 4024 px. Ok, ça ne se joue pas à grand chose, probablement au nombre photosites mis au noir. Plusieurs indices cependant mettent la puce à l’oreille quant au fait qu’il s’agit d’un capteur « custom » taillé sur mesure.

Premier point : l’obturation. Sigma a choisi de supprimer totalement l’obturateur mécanique pour ne passer que par une obturation totalement électronique, solution que je n’avais pas vue depuis le Pixii (mort né semble-t-il, en tous cas ils ne donnent plus de nouvelles). Là où les sd Quattro s’arrêtaient à 1/2000ème de seconde, le fp montera à 1/8000 ème de seconde, une valeur élevée pour du numérique mais relativement basse pour de l’électronique. La véritable question est de savoir s’il s’agit d’un obturateur « classique » de type « rolling shutter » ou un obturateur de type « global shutter » qui, dans cette taille là et pour un appareil photo grand public, serait une première. Au passage, le fp ayant de fortes prétentions en vidéo, il sera possible d’opter pour une obturation angulaire plutôt que temporelle, ce qui est tout sauf commun.

Deuxième point : la sensibilité. Les boîtiers Sigma n’ont pas la réputation de monter très haut et il se pourrait bien que, pour la première fois, il soit possible de capturer avec un de leurs boîtiers des photos exploitables au-delà de 800 ISO. Les ingénieurs ont tellement confiance en leur rejeton que la sensibilité maximale de 25600 ISO peut être étendue à 102400 ISO. Mais c’est surtout sur les sensibilités les plus faibles que la bête intrigue. En effet, si le plancher est par défaut de 100 ISO, il est possible de descendre jusqu’à 6 ISO. Non, il ne s’agit pas d’une faute de frappe. 6 ISO ! Cela fait 4 diaphragmes de moins que 100 ISO ! De là à exploiter cette aptitude comme une sorte de filtre ND intégré en vidéo, il n’y a qu’un pas que je ne demande qu’à franchir bête en main.

Troisième point : la plage de détection AF. Tout comme pour la montée en sensibilité, les boîtiers Sigma n’ont jamais eu la réputation d’être bien vaillants en termes de sensibilité ni de rapidité AF. À tel point que Sigma préfère ne pas évoquer la plage de détection AF sur la fiche technique des sd Quattro – ou alors, c’est juste que lors de la sortie, cette information n’était pas encore un argument marketing. Pourtant, avec le fp, le constructeur surprend, en bien, en s’alignant sur la concurrence. La plage de détection AF est donnée pour -5/+18 IL (soit une amplitude de 23 IL), ce qui est égal au Sony A7 III (-3/+20 IL), mais un cran en-dessous des Panasonic Lumix S1 (-6/+18 IL) et Nikon Z6 (depuis la dernière mise à jour, -3,5/+19 IL en configuration normale et -6/+19 IL en mode AF faible lumière). Au passages, notez que sur le Sigma fp, la compensation d’exposition se fait sur ± 5 IL. Et puisque j’en suis à parler d’autofocus, sachez que le boîtier est pourvu d’Eye AF Tracking et de 49 collimateurs. Oui oui.

D’autres éléments surprennent, pour un boîtier Sigma. Le constructeur semble vraiment avoir profité du passage à un plus « conventionnel » BSI CMOS pour se libérer des carcans et limitations du Foveon, s’aventurant dans des territoires qui lui étaient jusque là inconnue. Ainsi la rafale flirte-t-elle avec le domaine de l’hyper-espace avec une cadence maximale de 18 images par seconde, là où le sd Quattro, par exemple, se limitait péniblement à 4,2 images (mais c’était déjà une forme d’exploit pour du Foveon). Bon, par contre, le Sigma fp n’est pas pour autant un boîtier sportif puisqu’à cette cadence là, le buffer sature au  bout de 12 images… Il faut redescendre en rafale LO (3 ips) pour capturer un maximum de 24 clichés consécutifs. À défaut d’action, la rafale permet de créer des images à la dynamique étendue (HDR). Ainsi le Sigma fp dispose-t-il d’un mode Auto HDR capable de fusionner en interne 3 images (en photo, 2 en vidéo) afin de constituer une image composite HDR. Et parce qu’on est dans le turfu, la fonction « Cinemagraph » permet de générer des cinémagraphes. Autrement dit, des GIFs animés. Ouais. Ouais… Richard « Dick » Merrill doit se retourner dans sa tombe. Bon, que tout le monde se rassure, Sigma n’a quand même pas poussé le vice jusqu’à implémenter des fonctions « Oreilles de chat » – pourtant très populaires au Japon sous le nom de 猫耳, ce qui se lit « Nekomimi« (c’est-y pas mignon !). [Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas d’une suggestion de goodies pour le Salon de la Photo.] Enfin, vous remarquerez malgré la somme toute modeste définition de 24 Mpx, le fp propose la possibilité de faire du RAW HIGH et du RAW LOW. Mais ce LOW n’est pas une compression plus vénère, juste un abaissement de la définition ) 3008 x 2000 px, soit 6 Mpx. Mouais mouais…

 

Martine est connectée.

 

 

Et les sceptiques dirent : « en fait, c’est pas si con… Tiens, on dirait Leica ! »

 

 

Si de prime abord laisser de côté l’emblématique Foveon a de quoi décevoir les puristes hardcore, il faut bien reconnaître, comme nous venons de le voir, que l’adoption d’un BSI CMOS permet d’explorer de nouveaux horizons. Une forme d’expédition en terre inconnue qui, au final, ne peut qu’être bénéfique à la maîtrise du Foveon. D’une certaine manière, cela rappelle beaucoup la polémique qu’a connu Leica lors du passage d’un capteur CCD à un capteur CMOS entre le M9 et le M (Typ 240). Pour beaucoup de photographes, en procédant de la sorte, Leica vendait son âme et surtout ses couleurs, le CCD (Kodak) étant réputé délivrer des couleurs plus profondes, chatoyantes et « kodachromesques » que le CMOS, plus doux, trop doux, plus neutre, trop neutre, plus passe partout. En d’autres mots : trop modernes. C’est que, paradoxalement, les Leicaïstes n’aiment pas trop la modernités, du moins les plus traditionalistes.

Bref. Je vous épargne les kilomètres de dégueulis forumesques et débats d’ingénieurs de comptoirs : l’abandon du CCD était skandalös ! Pourtant, ce serait vite oublier de nombreux bénéfices du CMOS :

  • un approvisionnement plus simple grâce au partenariat CMOSIS/ST MicroElectronics alors que  Kodak, qui jusque là fournissait les CCD à Leica, n’en finissait pas de patauger dans ses déboires financiers et venait de vendre sa branche capteur ;
  • une meilleure maîtrise du capteur, puisque développé conjointement avec les CMOSIS et ST MicroElectronics mentionnés précédemment ;
  • une meilleure montée en sensibilité, puisqu’à une époque où les 12800 ISO devenaient la norme parmi les boîtiers professionnels le M9 et son CCD de 18 Mpx dépassait à grand peine les 1600 ISO (à moins de tricher avec la version Monochrom, dépourvue de filtre coloré) ;
  • une consommation électrique plus raisonnable entraînant, de fait, une chauffe moindre ;
  • un pipeline image plus rapide du fait de la technologie CMOS ;
  • last but not least, une fiabilité accrue ! Car, on a tendance à l’oublier, mais encore bien des années après l’arrêt du M9, le SAV de Leica a régulièrement dû faire face à des soucis de capteurs CCD corrodés, fendus, tâchés, bref, inutilisables. Ce qui a coûté une petite fortune à l’entreprise au titre du remplacement gratuit (du moins dans un premier temps).

Autre avantage du CMOS, et non des moindres : la possibilité de s’aventurer, avec quelques temps de retard, dans le monde merveilleux de la vidéo. Quitte à faire hurler d’horreur les puristes qui n’ont pas manqué de rappeler, le cœur sur la main, que « un Leica, c’est l’outil photographique suprême, vous n’allez pas nous gâcher tout ça avec ce truc de prolo qu’est la vidéo ! » En oubliant, au passage, la riche histoire des Leicina en Super 8…. Mais après tout, ils ont peut-être raison. Un Leica, ce n’est pas fait pour filmer. La preuve, en 2015, le film Birdman, d’Alejandro González Iñárritu, remporte les Oscars du meilleur film, du meilleur réalisateur et, surtout, en ce qui nous concerne, le « Scientific and Engineering Award » pour l’excellence des optiques CW Sonderoptic utilisées pour le filmer. Or, CW Sonderoptic, c’est le petit nom de la branche de Leica consacrée au développement et à la production des optiques cinématographiques… Perso, si j’étais un fabriquant d’objectifs photographiques, c’est le genre de truc qui me donnerait envie de lancer une ligne dédiée au cinéma. (Oh, wait…)

 

 

Arrivés ici, je suppose que vous avez, depuis un moment, compris où je désirais en venir. En adoptant le BSI CMOS, sans pour autant abandonner le Foveon (a priori), Sigma s’ouvre un nouveau champ des possibles. Plus conventionnel, peut-être, mais autrement plus large. Cette ouverture, déjà, était perceptible avec les sd Quattro. Pour la première fois, des boîtiers Sigma offraient la possibilité de générer des fichiers Adobe DNG, autrement plus faciles à lire que les fichiers X3F/X3I maison. Surtout, ils peuvent être ouverts ailleurs qu’avec le capricieux logiciel Sigma Photo Pro qui, parfois, peut donner des résultats… psychédéliques. En février 2018, Kazuto Yamaki m’expliquait ceci :

 

Le format Adobe DNG rend les choses plus simples pour les photographes, mais pas forcément pour les ingénieurs. Le format DNG tel qu’utilisé chez nous n’est pas un vrai RAW car les données du capteur sont d’abord traitées dans notre propre format RAW puis les résultats sont convertis en DNG. Il ne s’agit donc pas tout à fait de RAW dans le sens où les données ne sont pas directement issues du capteur mais sont déjà passé par une phase de pré-processing. Et celui-ci est assez différent de celui utilisé pour les capteurs à matrice de Bayer.

 

Quant à équiper de capteurs Foveon d’autres boîtiers que ceux de Sigma, il pointait du doigt cette difficulté technique :

 

Au-delà du hardware, il faut aussi tenir compte du processeur dédié, de la manière de l’exploiter, des algorithmes très particuliers qui permettent de tirer partie de l’architecture triple couche de ces capteurs. Donc, vendre des capteurs, c’est aussi vendre tout ce qui va autour : processeurs, code source, algorithmes, savoir-faire, et l’accompagnement qui va avec. Pour ces éventuels clients, ce serait donc un grand challenge puisqu’il faudrait tout réapprendre dans la mesure où utiliser un Foveon n’a rien avoir avec ce qu’ils savent déjà d’un CMOS ou un CCD à matrice de Bayer.

 

En optant eux-même directement pour du CMOS, les ingénieurs de Sigma se simplifient (un peu) le travail. Et je ne doute pas que, tout comme Leica, Sigma saura prouver qu’au-delà de la technologie capteur utilisée, c’est bien la « color science » maison qui primera. Et ce qu’ils apprendront sur du CMOS, ils pourront le transposer, dans la limite de la contorsion technologique, au Foveon. C’est tout bénéf !

 

 

Et le Monde pourra filmer avec des boîtiers Sigma

 

 

Car c’est bien du côté de la vidéo que le Sigma fp décide de mettre le paquet. Tout en prenant bien soin de ne pas marcher sur les platebandes de Panasonic et, dans une moindre mesure, Leica. Pour preuve, le gros commutateur, en haut à gauche sur le capot, fièrement estampillé CINE | STILL permettant de basculer en un clin d’œil des images statiques aux images animées (auront-elles une âme ?). Le menu s’adaptera automatiquement au mode de prise de vue. Un peu comme sur les Lumix GH, en fait.

Martine est privée de viseur. Mais elle s’en fout, puisqu’elle a un écran 3,15 pouces de 2 100 000 points. Et deux super touches « Tone » et « Color ».

 

Si les cadences et définitions de filmage restent classiques (Full HD jusqu’à 60p, avec ralentis en 120p, UHD jusqu’à 30p, avec modes 24 et 25p, tout cela en ALL-I), le plus intéressant se trouve dans les détails. Au dos du boîtier, sous l’écran, se trouvent deux boutons d’accès direct : TONE pour la courbe de niveau, COLOR pour le profil colorimétrique. Si bien sûr ils seront utiles en photo, en vidéo, cela signifie qu’il sera possible de paramétrer, et personnaliser, respectivement le profil gamma (bien qu’il ne soit pas fait mention d’une sorte de Sigma-LOG) et le profil colorimétrique, donc l’étalonnage. À ce propos, Sigma a implémenté un LUT « Teal & Orange », popularisé par les blockbusters hollywoodiens, et malaxé à toutes les sauces par les Youtubeurs et vidéastes ayant la main plus ou moins lourde. Ça fera plaisir aux ricains et aux hipsters.

 

 

De manière assez classique à ce niveau de gamme, il sera possible d’enregistrer ses fichiers sur un SSD externe via la prise USB 3.1 (Typ C) ou via la sortie HDMI sur des ATOMOS Ninja Inferno ou Blackmagic Video Assist, mais en 4.2.2 12 bits (en externe, en interne, ils ne savent pas encore), alors que, pour ne citer qu’eux, les Nikon Z sortent du 10 bits ou, encore mieux, les Panasonic Lumix GH et S1/S1R font tout cela… en interne. (Voir à ce sujet le très complet article et retour d’expérience de Romain Sarret relatif à la mise à jour 1.2 du firmware des Lumix S.) Par contre, et ce n’est pas commun, le Sigma fp disposera d’un mode « Director’s view finder » sur lequel ni le communiqué ni la fiche technique s’éternisent. Du coup, je ne suis pas certain d’avoir bien compris mais il me semble qu’il s’agit de la version électronique de ces petits viseurs/porte-objectifs utilisés par les réalisateurs lors des tournages pour vérifier leurs cadrages et cela selon plusieurs ratios d’image (ici, du 21:9, 16:9, 3:2, √2:1, 4:3, 7:6 et 1:1, si c’est conforme aux ratios disponibles en mode photo). L’existence de ce mode peut paraître anecdotique mais permet de bien définir la cible visée par Sigma et son fp : pas les vidéastes du dimanche.

Enfin, et c’est probablement le point le plus intéressant : le codec retenu pour enregistrer tout cela. Et pour le coup, Sigma ne laisse planer aucune ombre d’aucun doute ! Plutôt que d’opter pour l’AVCHD (cher à Panasonic) ou les XAVC et XAVC S (chers à Sony), la bande à Kazuto a jeté son dévolu sur quelque chose de bien plus exotique dans le milieu de la photographie et de la vidéo grand public : l’Adobe CinemaDNG (en plus du h.264, mais pas de h.265 à l’horizon). Après tout, pourquoi s’emmerder à développer son propre codec quand ce n’est pas son métier, ou payer des royalties pour utiliser le codec des autres, quand on peut utiliser un format gratuit, libre, lancé par Adobe himself et déjà supporté par Aaton, Atomos, Avid, Blackmagic Design (tiens, encore eux), Digital Bolex, DJI (dans son Zenmuse X7) et lu par les principaux logiciels de montage (Adobe Premiere Pro, Davinci Resolve, Avid Media Composer et Vegas Pro) ? Les plus taquins noteront toutefois que l’une des raisons quia poussé Blackmagic à développer son propre codec, le Blackmagic RAW, c’était à cause des limitations du CinemaDNG… dont les spécifications ont pour la dernière fois été mises à jour en septembre 2011.

 

Martine fait des vidéos. Puis des photos. Puis des vidéos. Puis des photos. Etc.

 

En toute franchise, je ne suis pas assez connaisseur en vidéo pour vous dire si, d’un point de vue qualitatif, l’adoption du CinemaDNG est une bonne chose. Mais de mon point de vue d’observateur des stratégies des divers acteurs de l’industrie photographique, je trouve que combiner DNG pur la photo et CinemaDNG pour la vidéo paraît intelligent et rationnel. Surtout qu’à une époque où Adobe Premiere Pro lui-même n’en finit plus d’être critiqué par ses ralentissements et plantages à répétition lorsqu’on lui fait manger des fichiers issus des Lumix GH5 et autres Alpha 7, il faut espérer que la manipulation du format maison ne lui posera pas de problème. Au passage, les plus attentifs auront remarqué qu’à aucun moment, ni ici ni sur la fiche technique, Sigma ne précise le bitrate des différentes cadences et définitions vidéos disponibles, témoignant du fait que le boîtier n’est pas encore finalisé.

 

 

Et finalement, je me dis que cela pourrait être bon

 

 

Comme beaucoup, j’ai été outré de découvrir que le premier hybride en monture L de Sigma n’embarquerait pas de capteur Foveon. Mais ne pas être soumis à publication le jour de l’annonce officielle a cela d’avantageux de laisser le temps de prendre du recul et attendrir mon naturel mesquin. À date, il est impossible de prédire si, du point de vue commercial, le Sigma fp sera un succès ou non. Si Sigma joue correctement sa main, par exemple en ciblant spécifiquement sa clientèle cinéma en faisant des packs « kit optique Sigma Cine Lenses + boîtier Sigma fp« , en positionnant le boîtier seul à un prix attractif par rapport aux cousins L-Mount et alternatives hybrides 24 x 36 mm (pour la photographie, sa compacité n’est pas un argument suffisant), c’est à dire quelque part entre 1400 et 1600 € TTC. Pour mémoire, le sd Quattro H était sorti à 1399 € et, sur le papier, son concurrent le plus proche n’est pas le Nikon Z6, ni le Sony Alpha 7 III, ni le Lumix S1, mais la Blackmagic Pocket Cinema Camera 4K vendue à 1399 €, compensant son « petit » capteur 4/3 » par des aptitudes aillant fait leurs preuves et un ancrage de longue date dans l’industrie vidéo via ses nombreuses solutions matérielles et logicielles connues et reconnues.

L’adoption d’un BSI CMOS peut s’avérer payante pour Sigma, qui exploite là sa grande liberté de manœuvre de « petite entreprise » pour s’adonner à quelques expérimentations (ce qui accentue encore un peu ses similarités avec Leica). Pour le photographe/vidéaste, il faut se réjouir que le constructeur ne s’enferme pas dans le carcan de ses propres traditions : il n’y aurait rien de pire, et certains en sont morts (coucou Kodak !). Le Foveon, c’est bien. Le BSI CMOS, c’est bien. Maîtriser plusieurs technologies, c’est peut-être se disperser, mais surtout s’offrir la possibilité de créer des ponts entre ces technologies et transposées des solutions familières chez l’une pour résoudre des problèmes exotiques chez l’autre. Tout cela en maintenant, parallèlement, plusieurs lignes de produit, une dédiée à l’image fixe (les Foveon) et une à la vidéo. D’ailleurs, vous savez qui d’autre fait ça, d’un côté des vidéos uniquement capables de photographier, et d’autres assez poussés en vidéo ? Allez, un indice : leur catalogue comporte le M10 et le SL (Typ 601)…

Le Sigma fp n’est donc pas qu’un boîtier pour « faire patienter » en attendant une version « Foveon Powered ». Par contre, « Furieusement Petit », il est. En même temps, quand on enlève tout pour ne garder que le strict minimum, ça aide. « Future proof », au regard de nombreux choix techniques, il semble s’y destiner, au moins sur le papier. « Facilement Personnalisable », c’est son ambition, de devenir un système dans le système. « Fils prodige », il faut le souhaiter. Mais en attendant de le confronter aux affres du terrain et à la férocité de Paris, officiellement, fp signifie surtout « fortissimo pianissimo ».  C’est qu’ils sont mélomanes du côté d’Aizu !

 

Martine fait tomber le haut.

 

Le petit mot de la fin ira aux objectifs en monture L, histoire de boucler la boucle. Cela ne vous aura pas échappé : pour l’heure, que ce soit chez Leica, Panasonic ou chez Sigma (la gamme Art adaptée au L), aucun ne propose d’objectif en monture L native un tant soit peu compacte. Ce serait même plutôt l’inverse, quand on voit les monstrueux 50 mm f/1,4 des partenaires ! Pour un Sigma fp qui veut frapper les esprits avec sa taille riquiqui et son poids plume, avouez que c’est un peu ballot. Fort heureusement, Sigma a prévu le coup car, simultanément au boîtier, trois objectifs on été annoncés, tous trois disponibles en montures L et E :

  • le SIGMA 14-24mm F2.8 DG DN | ART
  • le SIGMA 35mm F1.2 DG DN | ART
  • le SIGMA 45mm F2.8 DG DN | CONTEMPORARY

 

Martine a un nouveau copain. Et il porte des bagues. Des vraies.

 

Le zoom 14-24 mm, avec ses 795 grammes, n’a rien d’un poids plume. Mais avec son diaphragme circulaire à 11 lamelles, il promet d’intéressants flous d’arrière plan. Le 35 mm f/1,2, avec ses 1090 grammes et 136,2 mm de long, est certes un mastodonte mais aussi le premier objectif f/1,2 de Sigma. Ce qui ne manque pas de piquant puisque de son côté, Tamron, vient seulement de sortir son premier f/1,4 (le SP 35 mm f/1,4 Di USD que j’ai d’ailleurs testé pour Nikon Passion et qui s’avère une réussite). Enfin, et surtout, le 45 mm f/2,8, appartenant à la ligne Contemporary, a tout pour devenir non seulement le compagnon idéal du fp mais aussi LA focale de base que les utilisateurs de boîtiers en monture L (Panasonic, Leica et Sigma) devraient s’arracher. En effet, avec seulement 215 grammes sur la balance et 46,2 mm de long, cette focale standard très proche de la focale normale (à 2 mm près) devrait, si Sigma n’a pas la main lourde sur le tiroir-caisse, se négocier aux environs de 500 € (pronostic très personnel il est vrai). De quoi donner le véritable top départ du système L (en attendant que Panasonic nous propose un Lumix S « light ») !

2 commentaires sur “Sigma fp, l’hybride 24 x 36 mm que vous n’attendiez pas mais que vous allez adorer. Peut-être. Ou pas.”

  1. Au Japon, on peut le precomnander pour 58320円, cad 455€ environ. Je dirais 550-600€ en France

  2. Je pense d’ailleurs et Sigma semble le confirmer, que ce fp (enfin électronique et sa R&D) pourrait se retrouver dans un autre boitier plus « conventionnel ».
    J’imagine bien un boitier décliné en deux versions de capteurs, soit CMOS Bayer, soit FOVEON.

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