Les teasings, c’est bon. Mangez-en. Et si cela a marché pour Nikon, pourquoi Zeiss s’en priverait-il ? Justement, le constructeur allemand semble lui aussi nous préparer pour la rentrée une jolie surprise en redevenant un constructeur d’APN.
Voilà ce que dit, à peu près, l’image ci-dessus :
« Nous avons de l’expérience, tout plein d’expérience, et ça ne date pas d’hier, et ce savoir-faire technologique est palpable dans chaque image capturée avec nos produits. Vous êtes des millions à nous faire confiance à travers le monde, merci public, nous vous kiffons grave. Kiss kiss love love.
Mais, de vous à nous, ne manquerait-il pas quelque chose pour atteindre le nirvana photographique, la paix universelle ?
Il est temps d’avoir plus de Zeiss !
Il est temps de franchir une étape dans la photographie (avec du matos Zeiss, bien sûr) !«
Voilà, en gros. Dit autrement : 120 ans après son premier appareil photo, et 6 ans après avoir arrêté la production et la commercialisation de son tout dernier boîtier (le Zeiss Ikon ZM, stoppé en 2012), Zeiss s’apprête à revenir avec un nouvel APN, forcément révolutionnaire, qui risque de venir chatouiller Sony et Leica. Alors réjouissez-vous ! Vous n’avez pas le choix, c’est un ordre.
Lorsque Claude Français chantait que « ça s’en va et ça revient », il ne pensait probablement pas à Zeiss, mais force est de reconnaître que l’histoire du constructeur allemand n’a rien d’un long fleuve tranquille. Nous pouvons aisément considérer que l’entreprise a eu trois vies, voire quatre. Les contributions de Carl Zeiss dans les domaines de l’optique ont été nombreuses durant ses cent premières années d’existance. Au légendaire Ernst Abbe, nous devons la loi des sinus d’Abbe, mais aussi la création de la Fondation Carl Zeiss, en 1889, qui a introduit plusieurs pratiques modernes dans la gestion des affaire comme : la journée de huit heures, la couverture médicale, la participation aux profits et une politique établissant le meilleur salaire payé par la compagnie à sept fois le salaire le plus faible. À l’opticien Rudolph, nous devons les formules Anastigmat, Unar, Tessar et Planar (toujours utilisées) quand la formule Sonnar, qui fait encore la joie des portraitistes et photographes de rue, sera développée par Ludwig Bertele dans les années 1930. Sans oublier la contribution d’Otto Schott, qui créera la filiale Schott, dont les verres optiques sont aujourd’hui encore leaders du marché.
La Seconde Guerre Mondiale, mettra un coup de frein brutal à la domination de Carl Zeiss et de sa filiale Zeis Ikon, plus gros fabricant d’appareils photo avant guerre. Une partie de la production et de la collection des bureaux de Carl Zeiss à Stuttgart est rapatriée aux Etats-Unis puis vendue, dispersée aux quatre vents et perdus pour toujours, au titre de « l’excédent de guerre ». Une autre partie, celle de Iéna, Berlin et Dresde, est trasnférée à Kraznogorsk, dans la région de Moscou, et viendra enrichir la jeune entreprise d’opto-mécanique KMZ, qui produisait déjà les Zorki (des copies de Zeiss et de Leica). Pendant un demi siècle, l’héritage de Carl Zeiss sera alors coupé en deux : d’un côté un Zeiss Ikon en Allemagne, à Oberkochen, sous la tutelle du blog de l’Ouest, de l’autre, des fûts et des lentilles Zeiss fondues dans la chaîne de production russe. Il faudra attendre 1990, la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’URSS pour que Carl Zeiss ne soit réunifiée en une seule et même entreprise.
Pourtant, pendant tout ce temps, la partie occidentale ne s’est pas tournée les pouces. C’est à elle que nous devons des reflex Contarex (dont le mythique « Bullseye« ), Contaflex et Icarex, le Planar 50 mm f/0,7 développé pour la Nasa mais surtout devenu célèbre grâce à Stanley Kubrick qui en a utilisé plusieurs exemplaires lors du tournage de Barry Lyndon. Bien sûr, c’est aussi au Zeiss Ikon d’après guerre que nous devons les objectifs de la plupart des Hasselblads et de nombreux moyens format. Et là, je ne vous parle que du travail de Carl Zeiss dans le domaine de la photographie, puisque le constructeur continue à œuvrer dans tous les autres champs de l’optique (microscopes, miroirs de télescopes, optiques militaires, lunettes de chasse, verres de lunettes, etc.).
Dans l’histoire photographique beaucoup plus récente, la présence de Carl Zeiss en tant que fabriquant d’appareil photo est toute aussi « bordélique », pardonnez-moi l’expression. Cela est à la fois dû au côté « touche à tout » historique de Carl Zeiss mais aussi le concept de fabrication sous licence introduit dans l’entreprise dès la fin du XIXème siècle, qui autorisait des entreprises tierces à (re)produire des produits Carl Zeiss, en en utilisant le nom officiel. S’il y avait quatre boîtiers à retenir, ce seraient les suivants. Introduits en 1996, les Contax G sont des boîtiers télémétriques… à mise au point automatique ! Trop modernes pour les puristes du télémétrique, et arrivant à l’aube de la déferlante numérique, ils connaîtront un succès commercial relatif de leur vivant mais s’arrachent aujourd’hui en occasion. Les Contax G étaient fabriqués par le japonais Kyocera. Le Contax N Digital, aussi fabriqué par Kyocera, annoncé en 2000 puis commercialisé dès 2002, a été le premier reflex numérique équipé d’un capteur 24 x 36 mm, fourni par Philips. Le premier reflex 24 x 36 mm de Canon, l’EOS 1Ds, sortira aussi en 2002, quand les Nikonistes devront attendre 2007 et le D3 pour enfin avoir droit à cette taille de capteur ! Enfin, le Contax TVS Digital est un compact numérique qui a pour principal intérêt d’être le tout dernier appareil photo portant la marque Contax. Comme le Contax G et le Contax N Digital, sa production sera arrêtée en 2005 lorsque Kyocera cessera ses activités photographiques. Pour autant, un boîtier Zeiss va survivre, jusqu’en 2012 : le télémétrique Zeiss Ikon ZM. Contrairement aux trois boîtiers précédents, celui-ci est fabriqué par le japonais Cosina, qui a racheté la marque Voigtländer à Carl Zeiss en 1999.
Revenons donc dans le présent. Le but de toute cette digression était, si vous ne l’avez pas compris, de vous faire comprendre l’importance de Carl Zeiss dans l’histoire de la photographie, et le paradoxe que cela constitue que le constructeur ne soit plus présent, en nom propre, parmi les grands constructeurs d’appareils photo. D’après la rumeur, son grand retour se ferait via un compact expert basé sur le Sony RX1R II, et serait donc doté d’un capteur 24 x 36 mm ainsi que d’un 35 mm f/2 (forcément signé Zeiss, du coup). Il viendrait directement se mettre en face de son cousin japonais mais, surtout, se positionner en adversaire direct du Leica Q (Typ 116), le modèle allemand ayant largement ma préférence du fait de son ergonomie beaucoup plus pratique et agréable. Qu’apportera la proposition de Zeiss pour se distinguer et définir une nouvelle étape dans la photographie ? Mystère. Mais nous aurons la réponse avant la photokina. Photokina durant laquelle il est d’ailleurs plus que probable que Leica renouvelle son Q… Que cette rentrée 2019 s’annonce passionnante, décidément !