Vignette Nikon Z

Hybrides 24 x 36 mm : il faudra plus que des fiches techniques pour battre Sony

Impensable il y a cinq ans mais vrai : Nikon et Canon vont se retrouver en position d’outsiders face aux hybrides 24 x 36 mm de Sony. Une belle occasion de jouer les cartes de l’expérience et de l’écosystème.

Il va de soi que ni Nikon, ni Canon, n’ont le droit, en termes de fiche technique, de faire moins bien que Sony. Cela est d’autant plus vrai pour Nikon qui, c’est suffisamment rare pour être souligné, dispose là d’une magnifique occasion de partir d’une page quasiment blanche – en plus de se faire pardonner pour la Bérézina de feu ses hybrides One à capteur 1″. Au-delà de la technologie pure, sur quels pieds peuvent, et doivent, s’appuyer le duo historique pour contrer l’insolence de « l’électronicien » Sony ? Car c’est bien ce terrible travers de penser que la fiche technique fait tout qui nous a conduit à ces multitudes de boîtiers sans âme, où le plaisir d’utilisation est sacrifié sur l’autel du pixel porn.

 

Les impératifs techniques (parce qu’il faut bien les évoquer)

Sur ce chapitre, c’est bien Sony qui tient la main et dicte les règles et les figures de style imposées. Nikon et Canon devront donc, a minima, proposer immédiatement des boîtiers au moins aussi endurants, au moins aussi rapide en autofocus (c’est l’occasion de recycler le savoir-faire acquis sur les Nikon 1, d’un côté, et de prouver combien la technologie Dual Pixel AF est bien rodée du côté de Canon), au moins aussi bien stabilisés (technologie que ni l’un ni l’autre ne propose sur ses reflex), au moins dotés de deux emplacements mémoire (XQD + SD chez Nikon, CFast 2.0 + SD chez Canon, même si du double SD serait mieux, à mon humble avis), au moins aussi connectés (Wi-Fi et Bluetooth basse consommation à tous les étages), proposant au moins des écrans orientables et tactiles (aucun soucis de ce côté) et, bien sûr, cela va sans dire, au moins aussi bons en termes de qualité d’image. Au passage, si l’ergonomie physique est mieux pensée et les menus moins confus que chez Sony, je ne vais pas me plaindre.

À ce minimum syndical, il faut ajouter des caractéristiques « futureproof« . Là, il est surtout question de vidéo. Chez Canon, il est peu probable que la politique actuelle qui consiste à bien séparer les EOS dédiés à la photographies des EOS Cinéma, dédiés à la vidéo, soit remise en cause par le prochain hybride 24 x 36 mm. Sauf changement radical de paradigme. Chez Nikon, par contre, tout reste à faire, et tout est possible. Nous avons bien vu les efforts fournis sur les derniers boîtiers, le D850 en premier lieu, du côté de la vidéo, mais il faudra aller encore plus loin pour dépasser Sony et, il ne faut pas l’oublier, les Panasonic GH5/GH5s qui, malgré leurs capteurs plus petits, jouent dans la cours supérieure dès qu’il est question de vidéo. De fait, la prise en charge du HEVC, du 10 bits, de l’enregistrement en 4:2:0 et la disponibilité d’un profil Log seront impératifs. Sans oublier le classique gag de la prise casque, qu’il ne faudra pas oublier, ni quelques petites subtilités ergonomiques dont l’intérêt se révèle avec le temps (je pense par exemple au système anti-arrachement des câbles introduits sur les Lumix GH5).

Bref, à toutes ces spéculations, nous aurons une réponse définitive dès demain. Pas besoin d’épiloguer ni de broder inutilement, il y a des sites de rumeurs bien mieux informés et animés que moi pour cela. Faire de très bons appareils photo, c’est une évidence. Mais pour les vendre, et en masse, surtout à la clientèle de professionnels ciblés, il va falloir des arguments tout autre.

L’interopérabilité entre hybrides et reflex

Ce point concerne surtout Nikon, puisque le constructeur s’apprête à lancer un tout nouveau système ex nihilo… ou presque. Il s’agira alors de s’adresser à trois types de clientèles : les nikonistes fidèles, déjà équipés en reflex, les nouveaux venus (toujours les bienvenus), et les anciens nikonistes passés chez Sony (et qu’il faudra essayer de faire revenir, parce que, allez, viendez, on est bien, on est bien bien bien bien bien). La deuxième catégorie est finalement la plus simple à séduire, puisque tout est à acheter. Pour les premiers, il faudra leur offrir la possibilité de réutiliser les batteries des reflex (et donc les chargeurs), les flashs (c’est déjà le cas avec les Canon EOS-M, capables d’exploiter les flashs Speedlite de la série EX) et, bien sûr, les objectifs, puisque la panoplie optique pour ces nouveaux hybrides 24 x 36 mm sera, forcément au début, limitée. Quelle sera alors la stratégie adoptée par Nikon quant à la tarification de son adaptateur de la monture F (des reflex) vers la monture Z (des hybrides), sachant que chez Canon la bague EF vers EOS-M est facturée 140 € ? Y perdra-t-on en vitesse de mise au point et en silence de fonctionnement ? Qu’en sera-t-il des objectifs APS-C ?

Reconquérir les déserteurs sera bien plus ardu, surtout pour Nikon. Car du côté de Canon, les adapteurs optiques EF vers la monture E de Sony sont pléthore, et les canonistes ayant switché vers un Alpha 7 ou un Alpha 9 ont, souvent, conservé leurs optiques EF. Par contre, les adapteurs Nikon F vers Sony E sont beaucoup plus rares, surtout les modèles préservant l’autofocus (puisqu’il n’y en a qu’un, celui de Commilite, qui existe en version rebadgée chez FotodioX et Vello). Après, une croyance populaire prétend que les nikonistes sont plus fidèles que les canonistes, mais cela est invérifiable à large échelle. De plus, les nikonistes déserteurs peuvent, de leur côté, être échaudés par l’expérience Nikon 1,  pour lesquels c’était une vilaine erreur de communication de la part de Nikon de ne pas avoir clarifié, durant des années, la situation et le devenir, avant d’y mettre fin en catimini. Il va falloir que Nikon montre dès le départ patte blanche et prouve son engagement quant au nouveau système Z.

Ah, et puisque nous en sommes aux adaptateurs, un fun fact s’impose. Pour la première fois dans l’histoire de Nikon, des boîtiers 24 x 36 mm « Jaunes » vont être compatibles avec les optiques EF des « Rouges »…

Une monture Nikon Z plus ouverte que la Nikon F ? De l’importance des opticiens tiers.

La monture Nikon F avait, et a toujours, un énorme défaut, dicté par la politique de fermeture de Nikon, qui refuse de communiquer ses spécifications techniques aux constructeurs tiers. D’un certain côté, cela est compréhensible, puisqu’après tout, Nikon est avant tout un opticien et doit bien vendre ses propres objectifs avant de penser à Sigma, Tamron ou Samyang, pour ne citer qu’eux. Ceci est d’autant plus vrai qu’en termes de volume, depuis deux ans, la vente d’objectifs est plus importante que celle de reflex/hybrides et de compacts. La tendance devrait se renforcer et, pour l’année en cours, il ne serait pas étonnant que la vente d’objectifs représente plus de 50 % du volume de la division Image du constructeur.

Toutefois, et au risque de me répéter, Nikon dispose, avec ses hybrides Z, d’une formidable occasion de changer de fusil d’épaule et de stratégie, tout en pouvant utiliser le prétexte du centenaire célébré toute l’année dernière pour expliquer qu’ils ont fini par apprendre de leurs erreurs. Idéalement, il faudrait donc que Nikon ne voit plus les opticiens tiers comme des concurrents mais plutôt comme des partenaires. Leur faciliter la vie, c’est aussi accélérer le déploiement du système Z et doper son attractivité via une gamme optique large. Car, même si les optiques F sont déjà là pour assurer les besoins exotiques qui ne seront pas adressés dès le lancement, je doute très fort que les potentiels candidats au switch soient prêts à attendre plus de deux ans avec seulement trois ou quatre optiques Nikon Z à se mettre sous la dent durant cet intervalle… Il est ici très important que les dirigeants comprennent que le monde des hybrides évolue très rapidement, bien plus que celui des reflex, et qu’au-delà des Sony Alpha 7/9, les Fujifilm X et les Panasonic/Olympus en Micro4/3 se tiennent en embuscade et ne feront pas de cadeau. Il ne faudra toutefois pas confondre vitesse de déploiement et précipitation.

Au passage, et c’est le moment de l’évoquer, compte tenu du diamètre plus que généreux de la monture Z, il sera intéressant de voir si Nikon ne développera que des boîtiers 24 x 36 mm (avec les optiques qui vont avec), ou s’il s’aventurera vers des formats plus grands… ou plus petits. L’APS-C n’est pas mort, et surtout, n’est pas incompatible avec des aspirations professionnelles, il suffit, pour s’en convaincre, de regarder le Nikon D500 (et tous ses petits camarades/rivaux). Ce qui posera la question du développement de lignes d’optiques dédiées. Stratégiquement, Nikon a tout intérêt à cultiver une gamme 24 x 36 mm, cohérente et complète, avant de disperser ses forces, comme y sera contraint Canon. Sony, en la matière, en est un très bel exemple : l’accent étant mis sur le développement des optiques 24 x 36 mm, ceux équipés en Alpha APS-C sont, depuis quelques années, laissés pour compte, avec le sentiment légitime d’être lésés.

Profiter du réseau de distribution et étouffer le service professionnel de Sony dans l’œuf

Peut-être encore plus que tout ce qui a précédé, voilà le point d’orgue des atouts dont dispose Nikon et Canon : leur présence sur le terrain et leur savoir faire en termes de suivi SAV, point crucial pour les professionnels. Avoir un boîtier qui marche, c’est bien. Avoir un boîtier réparable rapidement et en tous points du globe, c’est encore mieux. Et c’est là que Sony a du retard à rattraper (retard dont il est bien conscient).

Que ce soit en Rouge ou en Jaune, le réseau de distribution est bien implanté, avec des points de réparation bien hiérarchisés, un programme « Clients Professionnels » bien délimité. Ni Canon, ni Nikon, n’ont besoin de faire leurs preuves en termes d’efficacité logistique, et chaque grande manifestation sportive est l’occasion de le rappeler. De même pour les grands comptes (du style agences de presses, clients institutionnels dont l’armée, universités, etc.), la bascule du reflex à l’hybride devrait être transparente (si bien sûr les boîtiers font leur preuve) et fluide, là où Sony doit encore batailler pour faire la preuve de sa fiabilité et du suivi à très grande échelle. C’est un savoir-faire et une présence qui s’acquièrent au fil des années (et des déjeuners avec petit digestif, il ne faut pas se mentir). Canon et Nikon n’auront donc aucun scrupule à capitaliser là-dessus.

Du côté des distributeurs en eux-mêmes, grandes chaînes de multispécialistes, photospécialistes, coopératives et petits revendeurs, l’histoire est un peu plus ambigüe. Au-delà de leur nombre, ce sera le discours qui devra faire mouche. En effet, je suis curieux de savoir comment Nikon va vendre son hybride à des partenaires qu’il a habitué, pendant des années, à vanter les mérites et la supériorité des reflex par rapport aux hybrides. Même si la plupart sont déjà familiarisés avec les hybrides de la concurrence, l’évolution des mentalités risque de prendre un peu de temps, et je suis prêt à parier que beaucoup d’irréductibles continueront à ne jurer que par le reflex, en considérant les hybrides comme de passagères lubies.

Quoi qu’il en soit, plus que le poids des mots, j’attends le choc des photos.
(Ah, et je suis aussi curieux de voir si cette fois Nikon n’aura pas oublié de choisir des femmes comme ambassadrices pour promouvoir ses Z, mais à en croire le teaser ci-dessus, ce devrait être bon de ce côté-ci…)

5 commentaires sur “Hybrides 24 x 36 mm : il faudra plus que des fiches techniques pour battre Sony”

    1. Oui, c’est vrai, mais j’ai pris la mauvaise habitude de ne pas prendre en compte les prix. Ceci dit, maintenant que les Z6 et Z7 ont été officialisés, je vais pouvoir décortiquer tout cela et je reviens dans la journée avec de plus amples informations. 🙂

  1. Donc maintenant Nikon aura :
    – Une gamme d’optique APS-C en monture F
    – Une gamme d’optique FF en monture F
    – Une gamme d’optique FF en monture Z

    Ne seront-ils pas tentés de faire disparaitre à long terme une de ces gammes ? C’est sur cet aspect que mon regard se pose. Même questionnement pour les constructeurs tiers d’ailleurs qui ont déjà beaucoup de variantes dans leurs cartons …

    1. C’est une question tout à fait légitime, en effet, à laquelle je tente d’apporter une réponse (du moins, une opinion) dans l’article que je prépare. Mon humble avis et que, à court terme, il n’y aura pas de téléobjectif FF en monture Z, car ce serait inutile (les télés en monture F, avec un adaptateur, suffisent). La gamme APS-C est, quant à elle, déjà bien fournie, et sera certainement mise de côté, ou au ralenti, pendant quelques temps (d’autant plus que Nikon a pris le soin de sortir récemment plusieurs zooms à destinations de ses reflex APS-C). Mais, si ça se trouve, je me trompe. Ce qui ne serait pas la première fois.

      1. Inutile… pour le moment.

        Sinon, Nikon a quasiment rien à mettre à jour en monture F (même en APSC, vu que les AF-P sont tout récents tout beaux), donc ils peuvent se concentrer sur la monture Z pour les cinq prochaines années. Donc en soi pas besoin de maintenir vraiment trois gammes vu à quel point la gamme F (DX ou FX) est complète.

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